Le Parlement discute d’une proposition de loi qui fixe à 15 ans la majorité numérique. En dessous, les mineurs devront avoir l’accord de leurs parents pour s’inscrire sur un réseau social. Problème : la définition est si générale qu’elle touche aussi… Wikipédia.

En fin de compte, les encyclopédies en ligne à but non lucratif, comme Wikipédia ne seront pas embêtées par la loi sur la majorité numérique. Au Sénat, l’amendement destiné à patcher la faille du texte a été adopté et conservé lors des échanges entre sénateurs et députés, en commission mixte paritaire. Une exception qui bénéficie aussi aux répertoires éducatifs ou scientifiques à but non lucratif.

Article original :

L’encyclopédie libre et gratuite Wikipédia pourra-t-elle toujours accueillir des internautes de moins de quinze ans dans quelques semaines ? C’est cette question surprenante qui se pose depuis le début de l’année, en raison d’une récente proposition de loi instaurant une « majorité numérique » en cours d’examen au Parlement.

À l’origine de ce texte figure la volonté de filtrer plus efficacement l’âge à partir duquel on peut s’inscrire sur un réseau social sans l’autorisation de personne. Ce seuil est fixé à quinze ans. En dessous, l’accord parental serait un préalable obligatoire pour s’inscrire sur un site communautaire — comme TikTok, un service extrêmement apprécié par les plus jeunes.

Une définition de réseau social qui ratisse large

Problème : la définition retenue pour qualifier ce qu’est un réseau social est si large qu’elle frappe aussi des plateformes qui n’ont pas grand-chose à voir avec Facebook et Twitter, comme Wikipédia. Ce risque a été relevé au début du mois de mars, peu de temps après son arrivée au Sénat — une première version du texte a été adoptée par l’Assemblée nationale le 2 mars.

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Wikipédia offre des fonctionnalités sociales, mais elles sont très périphériques par rapport au cœur de l’encyclopédie. // Source : Wikimédia

Aujourd’hui, la version la plus récente du texte dit qu’un réseau social est une « plateforme permettant aux utilisateurs de se connecter et de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils ». On peut converser, publier, envoyer des vidéos et recevoir des recommandations, entre autres. Une définition assez générale pour attraper dans ses filets et soumettre à de nouvelles règles des services aux buts tout à fait différents. Toutefois, le Sénat a l’occasion de résoudre cette problématique, lors de la discussion en séance publique, à partir du 24 mai 2023. Le texte a déjà été débattu en commission, mais sans que ce problème fasse l’objet d’un amendement spécifique.

Wikipédia a un autre but

La sénatrice Catherine Morin-Desailly, membre de l’Union centriste, a déposé un amendement le 19 mai proposant de compléter l’article premier du texte. L’objectif ? Créer une exception pour faire sortir « les services tels que les encyclopédies en ligne à but non lucratif et les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif. »

Cette disposition, signalée sur Twitter le 22 mai, défend l’exclusion de Wikipédia du champ d’application de la loi en arguant qu’il existe déjà des exemptions concernant l’encyclopédie, comme la directive sur le droit d’auteur. Surtout, l’exposé des motifs pointe le fait que si Wikipédia offre une fonctionnalité de discussion, elle est très périphérique par rapport à son objectif premier.

« Leur objet principal n’est pas de permettre aux utilisateurs de communiquer entre eux comme c’est le cas sur un réseau social. Même si cette fonctionnalité peut être présente, elle reste accessoire », argue la sénatrice. « Interdire l’usage de l’encyclopédie et l’accès à une information gratuite à des mineurs ne s’inscrirait pas dans un objectif de les protéger des dangers des réseaux sociaux. »

Un casse-tête en vue, si rien ne change

La portée de l’amendement va au-delà de la seule Wikipédia et des projets tiers, comme Wikipédia Commons, une médiathèque libre et gratuite contenant des ressources du domaine public ou sous licence Creative Commons. Il peut aussi bénéficier à un projet comme Vikidia, qui est une encyclopédie similaire à Wikipédia, mais qui s’adresse aux 8-13 ans.

Surtout, Vikidia revendique des articles qui sont « rédigés (en grande partie) pour et par les 8-13 ans ». La proposition de loi, si elle passe telle quelle, risquerait de mettre Vikidia dans une impasse. Et un casse-tête pour non seulement recueillir le consentement systématique des parents ainsi qu’un système de vérification de l’âge.

C’est l’autre limite préoccupante du texte : on demande aux fournisseurs de services de réseaux sociaux de vérifier l’âge des utilisateurs et l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale, le cas échéant. Problème, il n’est pas (encore) précisé comment. La proposition de loi renvoie tout le monde à un « référentiel » contenant des solutions techniques conformes.

La rédaction de ce référentiel est confiée à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Et gare aux services qui ne se conforment pas à ces futures règles du jeu : des amendes peuvent être prononcées, jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires global.

(article mis à jour avec le patch législatif)

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