La justice a ordonné le 9 janvier aux FAI de mettre en oeuvre un premier blocage par DNS contre un casino en ligne. Or, cette mesure a été prononcée à peine quelques jours après la publication du décret l’autorisant. Sans ce décret, pas de blocage possible. Ce qui expliquerait l’empressement du gouvernement, quitte à se passer des avis de l’Arcep, de la Commission européenne et du Conseil national du numérique.

Difficile de croire à une simple coïcidence. Selon les informations obtenues ce jeudi par l’Express, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné le 9 janvier dernier aux principaux fournisseurs d’accès à Internet (Orange, SFR, Free, Bouygues Télécom, Numericable, Darty et Auchan) de bloquer l’accès à Rome Casino, un site de jeu en ligne établi au Canada.

Cette décision de justice fait suite à la demande de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), qui avait manifestement décidé de s’attaquer à ce casino en ligne, décrit comme un service « récalcitrant« . Comme le souligne l’hebdomadaire, il s’agit de la première fois qu’une juridiction française rende un tel jugement depuis l’entrée en vigueur de la loi légalisant les jeux en ligne.

Or, la proximité entre la date où a été publié le décret relatif aux modalités d’arrêt de l’accès à une activité d’offre de paris ou de jeux d’argent et de hasard en ligne non autorisée et la date où la décision de justice a été rendue est frappante, pour ne pas dire troublante. En effet, à peine neuf petits jours séparent la publication du décret du jugement du TGI.

Il faut en effet se souvenir dans quelles conditions ce dossier a été expédié par le gouvernement. Comme l’a confié un opérateur anonyme en tout début d’année, le décret n’a pas été soumis à l’avis de l’Arcep, pourtant obligatoire, pas plus qu’il n’a été soumis à la Commission européenne, une procédure obligatoire quand cela concerne la société de l’information.

De plus, le Conseil national numérique (CNN) n’a pas été non plus été consulté. Bien que facultative, son opinion devait pourtant être recherchée systématiquement par le gouvernement à chaque fois qu’un projet concernant la sphère numérique est envisagé par l’exécutif. « Je me suis engagé à ce qu’on ne fasse rien avant d’avoir parlé au CNN » s’était engagé le président de la République.

La vitesse avec laquelle le décret a été publié, sans aucune consultation, a évidemment interpellé le CNN. Or il faut bien comprendre que sans ce décret, il n’y a pas de blocage. Car jusqu’à présent, les jeux en ligne mis en demeure par l’Arjel ne risquaient pas grand chose. Or, le décret paraît le 1er janvier et le jugement tombe huit jours plus tard. Curieux, n’est-il pas ?

À côté de ce « hasard » du calendrier, soulignons également la fragilité de la solution technique choisie pour empêcher les internautes français d’accéder au site coupable. Le blocage par nom de domaine (DNS), qui doit durer huit mois selon l’Express, le temps que Rome Casino se mette en conformité avec la loi française. À noter que le blocage n’est a priori par encore effectif ; les FAI n’ont sans doute pas encore été notifiés.

Comme le fait remarquer Stéphane Bortzmeyer sur son blog, « si on on veut censurer en France l’accès à un site de jeu en ligne, par le protocole DNS, c’est un bon endroit pour attaquer. […] Modifier le comportement du résolveur est facile (les logiciels ont déjà ce qu’il faut pour cela) et certains FAI le faisaient déjà pour des raisons financières« .

« Mais c’est aussi une technique de censure relativement facile à contourner : l’utilisateur de la machine cliente peut changer la configuration de son système pour utiliser d’autres résolveurs que ceux de son FAI, par exemple ceux de Telecomix, qui promettent de ne pas censurer » poursuit-il. Il existe également d’autres résolveurs, comme ceux d’OpenDNS ou de Google, limitant ainsi l’effet du blocage.

Dans les faits, les abonnés qui voudront accéder à certains sites de paris illicites pourront y parvenir par quelques manipulations. Il semble cependant que la volonté d’imposer le blocage par DNS ait été économique, puisqu’il s’agit d’une solution relativement économique et qui générera peu de frais de remboursement lorsque les FAI présenteront la facture l’Arjel.

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