Dans une tribune publiée dans Le Monde, le Commissaire européen au marché intérieur et aux services Michel Barnier reprend une nouvelle fois les conclusions totalement absurdes de l’étude TERA, sans la citer. S’il conçoit qu’il est « toujours possible de discuter de l’exactitude de ces chiffres », « il est impossible de nier l’impact destructeur du piratage sur l’industrie créative », affirme-t-il aussitôt. A l’impossible, nul n’est tenu.

Nous nous demandions hier si c’était bien la même Commission européenne qui, par la voix de son commissaire au marché intérieur Michel Barnier rendait le piratage responsable de la possible perte de 1,2 million d’emplois d’ici 2015, et qui publiait cette semaine un Plan Numérique 2020 qui fustigeait les manques de l’offre légale en Europe. « La disponibilité d’une offre en ligne légale, vaste et attrayante, apporterait aussi une réponse efficace au piratage« , disait la Commission.

Mais nous voilà rassurés. Michel Barnier n’est pas atteint de trouble schizophrène. L’ancien ministre français publie ce vendredi dans Le Monde une tribune plaidant « pour une politique européenne du numérique« , qui tente de rafistoler les deux discours. Comme il l’avait fait devant la Commission des affaires juridiques du Parlement Européen au mois de mars, le commissaire a repris à son compte les conclusions de l’étude TERA sur l’impact du piratage dans l’univers européen.

« La relance de la création en ligne suppose une lutte efficace contre le piratage qui aujourd’hui sape dans une grande mesure les fondements de l’économie numérique« , écrit Michel Barnier. « À titre d’exemple, je citerai une étude récente montrant que, en raison du piratage, 186 000 emplois ont été détruits en Europe en 2008, avec quelque 10 milliards d’euros de perte pour les industries créatives. Si l’on n’agit pas, ce sont jusqu’à 1,2 million d’emplois qui pourraient disparaître d’ici 2015« .

Le commissaire européen ne fait pas l’honneur à ses lecteurs de leur préciser, même sous forme d’astérisque, quelle est cette étude dont il rapporte les conclusions. Peut-être serait-il embarrassé de préciser qu’elle a été réalisée sur commande du BASCAP, un lobby anti-piratage co-présidé par Jean-René Fourtou, le président du conseil de surveillance de Vivendi.

« Il est toujours possible de discuter de l’exactitude de ces chiffres« , balaye-t-il, « mais il est impossible de nier l’impact destructeur du piratage sur l’industrie créative, qui représente une part importante de l’industrie européenne« . Poussez-vous, il n’y a rien à voir.

Si vous vouliez rappeler à M. Barnier que la lutte contre le piratage augmente le piratage, que des études montrent que le piratage a des effets économies et culturels positifs, que les ventes de livres augmentent avec leur piratage, que les pirates sont ceux qui consomment le plus, que le respect des consommateurs paye… gardez votre salive. « Il est impossible de nier l’impact destructeur du piratage« .

Nous qui pensions que la démocratie était affaire de débat, c’est raté. Elle est affaire de dogmes.

D’ailleurs, M. Barnier nous assure que « contrairement à certaines caricatures, ce droit (d’auteur) n’est pas celui d’interdire l’utilisation d’une œuvre, mais d’en tirer un revenu« . Mais c’est bien tout le problème que refuse d’affronter M. Barnier.

Le postulat de base du droit d’auteur est l’interdiction faite à autrui de faire usage de l’œuvre. Le droit de l’auteur, c’est le droit d’autoriser une utilisation qui était interdite. Pendant plus de deux siècles l’interdiction de l’utilisation des œuvres a été utilisée comme mécanisme de rémunération de la création. L’auteur monnaye son autorisation.

Mais ça ne tient plus au 21ème siècle, où l’utilisation des œuvres est consubstantielle à la communication en réseau. Il va falloir apprendre à envisager un autre mécanisme de rémunération de l’auteur. A créer un nouveau droit d’auteur.

C’est ce chantier là qu’il faudra ouvrir.


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