La justice suisse devra bientôt décider d’ouvrir en grand ou au contraire de fermer les portes de la Suisse aux entreprises qui collectent des adresses IP sur les réseaux P2P pour les revendre à des cabinets d’avocats engagés par les ayants droit. Pour juger en appel la décision du tribunal administratif d’autoriser Logistep à collecter les adresses IP des internautes en Suisse, le tribunal fédéral a décidé d’organiser le 21 avril prochain une audience publique, par laquelle cinq juges débatteront publiquement. Il s’agit d’une procédure inédite en matière de nouvelles technologies, mise en œuvre lorsque les juges préalablement désignés ne parviennent pas à trouver l’unanimité, ou lorsqu’ils souhaitent publier une décision de principe dans une affaire qui pourra avoir des répercussions sur la jurisprudence.

Le Préposé à la protection des données, l’équivalent suisse de la CNIL, s’était ému d’apprendre lorsque nous avions révélé l’affaire Techland que les adresses IP qui avaient servi à menacer des centaines d’internautes français avaient été collectées depuis la Suisse. Il avait demandé à Logistep de « mettre immédiatement fin au traitement de données qu’elle effectue« , tandis que la CNIL en France avait jugé irrégulière l’exploitation des données collectées par une avocate française (ensuite sanctionnée par le Conseil de l’Ordre), tout comme son homologue italienne. Mais le tribunal adminstratif suisse avait estimé, lui, que la fin justifiait les moyens, et donc que l’ampleur du piratage et de ses conséquences justifiait de pouvoir collecter les adresses IP des internautes même sans leur autorisation préalable, et y compris pour les adresses IP d’internautes présents hors de Suisse.

Scandalisé par la décision, le Préposé à la protection des données avait décidé décidé de faire appel, et il a pu être rejoint à la cause par l’association Razorback, qui l’avait alerté. Si le tribunal leur donne raison en appel, « les internautes ne pourront plus être surveillés par des sociétés privées tant que la loi suisse n’introduira pas de nouvelles disposition allant dans ce sens« , nous explique l’association, qui dit ne pas s’opposer « à une surveillance réglementée voir étatisée« . « Mais dans le cas de Logistep, il s’agit d’une société privée qui effectue une surveillance généralisée sans aucun cadre légal. Leur relevé ne devrait même pas être accepté par les magistrats« , condamne-t-elle.

Agacé par les pratiques de Logistep, l’association qui gérait autrefois le plus gros serveur eDonkey au monde estime que « les juges étrangers devraient mettre à la poubelle tous les relevés effectués par des sociétés suisses et devraient même se retourner contre les avocats déposant des preuves illégales, car eux aussi sont dans l’illégalité« . « Nous espérons que les internautes français, mais surtout anglais et allemands aillent en justice pour réclamer des dommages aux avocats et sociétés qui les ont menacées à l’aide de preuves collectées illégalement. Ceux qui ont déjà payé pourraient peut-être récupérer une partie de l’argent racketté« , ajoute son porte-parole.

Récemment, deux avocats qui avaient utilisé de tels relevés pour intimider des internautes britanniques ont été convoqués devant le Conseil de discipline.

Si Logistep l’emporte, la société pourra continuer de collecter depuis la Suisse les adresses IP des internautes dont la collecte est pourtant interdite ou contrôlée dans leur propre pays, comme c’est le cas en France. Une situation qui inquiète au niveau européen.

« En cas de rejet du recours, la Suisse deviendrait le pays le plus permissif d’Europe et les engagements internationaux pris ne pourraient plus être intégralement respectés« , prévient dans un communiqué Sébastien Fanti, l’avocat de Razorback. « L’Union Européenne observe avec attention l’issue de la procédure et plusieurs demandes nous sont parvenues pour savoir ce que nous entreprendrions dans cette hypothèse. Le black listage de la Suisse comme Etat ne garantissant plus les standards de l’Union en matière de protection des données est une hypothèse de travail réaliste, puisque la Suisse deviendrait alors sur le continent le pays le moins protecteur des données personnelles, ce qui pourrait avoir de sérieuses conséquences dans les relations de la Suisse avec l’Union Européenne« .

Si l’appel est rejeté, il est déjà question qu’un recours auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme soit exercé.


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