Censée être une fête fraternelle, l’organisation des Jeux Olympiques, le plus grand événement sportif du monde, est devenu un casse-tête sécuritaire qui comporte désormais un important volet cyber.

Neuvième siècle avant Jésus-Christ. Trois rois, Iphitos d’Élide, Cléosthène de Pisa et Lycurgue de Sparte, se mettent d’accord pour observer une trêve avant le début des Jeux Olympiques, ces concours sportifs qui opposent les cités grecques antiques. Un arrêt des hostilités permettant aux athlètes et spectateurs de voyager en toute quiétude jusqu’au site d’Olympie.

Une bonne idée qui n’a pas vraiment traversé les siècles. Certes, il existe bien une trêve moderne, mais elle n’est pas respectée, en témoigne l’annexion de la Crimée par la Russie quatre jours après la fin des Jeux d’hiver de Sotchi, en 2014. Et plus globalement, au-delà des conflits entre États, la sécurité de ce grand événement planétaire est devenue un point clé, essentiel et central, preuve qu’on est bien loin d’une trêve. « C’est désormais le budget le plus important de toute compétition sportive mondialisée », relevait ainsi le spécialiste de la géopolitique du sport Pascal Boniface dans l’un de ses livres, JO Politiques.

Pour les Jeux Olympiques de Paris, qui vont avoir lieu à partir de la fin juillet 2024, la facture sécuritaire est pour le moment estimée à 319,6 millions d’euros. Quant aux dépenses de cybersécurité, elles devraient s’élever à 28,3 millions. Soit un (gros) total de près de 350 millions d’euros dans un budget d’environ 4,4 milliards d’euros. Les spécialistes de la sécurité s’arrachent déjà les cheveux sur la cérémonie d’ouverture. Elle va avoir lieu pour la première fois hors d’un stade. Résultat, cette parade de six kilomètres sur la Seine devant 600 000 spectateurs a des airs de casse-tête sécuritaire.

Tournant sécuritaire du terrorisme

Mais pourquoi faut-il consacrer autant de moyens à la sécurité des Jeux Olympiques ? Alors oui, les organisateurs des Jeux de Paris en 1924 craignaient déjà des mouvements de foule. Sauf que cinquante ans plus tard, la menace a radicalement changé de nature. En 1972, à Munich, un commando palestinien pénètre dans le village olympique, une opération terroriste qui se solde par la mort de tous les otages israéliens. L’attentat commis lors des Jeux d’Atlanta en 1996, puis les attaques terroristes du 11 septembre 2001 assombrissent encore le climat. « La fierté d’accueillir la reine des compétitions sportives s’accompagne de la crainte permanente d’un attentat », résumait Pascal Boniface dans son livre.

Si les Jeux Olympiques suscitent autant de malveillance, c’est parce que c’est bien plus qu’une simple réunion d’athlètes venus de tous les pays du globe. « Le sport est un instrument de rayonnement pour les États », rappelle à Numerama Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Les Jeux Olympiques, le plus grand événement sportif au monde, ont une audience planétaire exceptionnelle. Ce qui en fait une cible de choix. « Cette visibilité peut être détournée au profit d’une cause ou d’une organisation », signale également à Numerama Loïc Guézo, le vice-président du Clusif, une association française de professionnels de la cybersécurité.

Peur sur la (cyber)ville

Pour les Jeux de Paris, les pouvoirs publics s’inquiètent ainsi d’une attaque terroriste. Mais aussi d’une augmentation des vols ou des trafics de toutes sortes. Ou encore de tentatives de militants radicaux de surfer sur l’événement. Les drones vont également être surveillés de près. Ces engins volants constituent une nouvelle menace à prendre au sérieux. Les experts ont par exemple en tête la tentative d’assassinat du président Nicolás Maduro, en 2018 au Venezuela. Enfin, comme l’expliquent les gendarmes, les drones peuvent aussi servir pour de l’espionnage sportif ou à faire des prises de vue illégales.

À ce panorama déjà bien fourni, il faut ajouter une menace cyber de plus en plus prégnante. Le cyberpompier de l’État, l’Anssi, s’attend ainsi à des attaques criminelles, mais aussi à des actions d’espionnage et de déstabilisation. Pourquoi un tel éventail de menaces ? Parce qu’aujourd’hui le numérique est partout. De la billetterie au chronométrage, en passant par la retransmission télé en direct et les transports, l’informatique est omniprésente. « C’est impossible d’imaginer aujourd’hui des Jeux sans cybersécurité, car tous les systèmes, du sol au plafond, sont devenus numériques », remarque Loïc Guézo.

Dit autrement, si des ordinateurs tombent en carafe, c’est la panade. « On peut par exemple imaginer une attaque paralysant les trains RER et mettant ainsi à plat le transport des spectateurs et des athlètes », remarque Julien Nocetti. De manière plus insidieuse, le champ des fake news va également être à surveiller, avec des publications portant « des récits négatifs sur la France » sur des thèmes clivants. « Si sur le plan cyber, on voit quantité d’audits pour se préparer, il est compliqué de répondre efficacement à ce genre de menaces informationnelles », regrette le chercheur.

La technologie, solution ou problème ?

Une partie de ces nouvelles menaces venues du numérique pourraient toutefois être contrées… par d’autres innovations technologiques. Les industriels du secteur ne s’y sont pas trompés. Ils espèrent faire du grand événement une vitrine pour leurs solutions. Ils ont ainsi proposé au ministère de l’Intérieur environ 190 expérimentations. Cela va de la gestion de foule aux outils pour les centres de commandement en passant par la lutte anti-drones.

Un drone DJI employé par les forces de l'ordre pour la surveillance de la route. // Source : YouTube / BFM
Des drones de surveillance peuvent aussi servir dans le cadre de la sécurisation d’un site. // Source : YouTube / BFM

Ainsi, la nouveauté sécuritaire high-tech la plus débattue est la vidéosurveillance algorithmique. Testée pendant les Jeux, elle doit permettre de mieux repérer sur les images huit types d’événements, comme des départs de feu ou la présence d’un véhicule à contre-sens. « Un changement d’échelle sans précédent dans les capacités de surveillance et de répression de l’État et de sa police », s’est alarmée La Quadrature du Net. Le remède est-il pire que le mal ?, s’interroge en substance l’association pour les libertés numériques. Un questionnement que l’on peut étendre aux Jeux : à force de se barricader, ne risquent-ils pas de perdre leur âme ?

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