Dans une décision étrange sur le plan juridique, le tribunal de grande instance de Paris a condamné Le Bon Coin pour avoir validé la publication de petites annonces de produits contrefaits, tout en conservant au site le bénéfice du régime protecteur des hébergeurs. La condamnation est logique, le raisonnement juridique beaucoup moins.

Sur le plan de l’argumentation juridique, la décision de première instance est articulée de manière très bancale et l’on doute qu’elle tienne en l’état face à la cour d’appel, si elle est saisie. Le 4 décembre dernier, le tribunal de grande instance de Paris a condamné LeBonCoin.fr pour la diffusion d’annonces de produits explicitement contrefaits, à la demande de la société Goyard St-Honoré qui conçoit des produits de bagagerie de luxe.

Le site de petites annonces avait mis en ligne entre janvier et mars 2014 des annonces qui proposaient à la vente, ici une « pochette Goyard fausse », là un porte-passeport « imités parfaitement », ou un portefeuille « inspiration Goyard ». Or la société est titulaire de marques déposées et bénéficie de la protection de ses dessins et modèles, ce qui rend la diffusion de telles annonces de produits contrefaits totalement illicite.

Un raisonnement absurde pour éviter une solution absurde

Dans ses conclusions, l’entreprise de luxe avait fort logiquement contesté le statut protecteur d’hébergeur revendiqué par Le Bon Coin, puisque le site de petites annonces a abandonné toute neutralité sur les contenus publiés, ce qui est un critère essentiel. La plateforme dit elle-même qu’elle prévisualise toutes les annonces avant de les mettre en ligne, et elle prévient dans ses « règles générales de diffusion » que « toute annonce contenant des éléments de texte (mots, expressions, phrases… etc.) qui sembleraient contraires aux dispositions légales […] sera refusée par Leboncoin.fr ».

leboncoin

Il était donc inutile de rechercher si Le Bon Coin avait été informé du caractère illicite des annonces litigieuses avant de refuser de les retirer, puisqu’il indique lui-même qu’il vérifie et donc qu’il valide chacune des annonces publiées. S’il valide, c’est forcément qu’il est déjà informé.

Mais néanmoins le tribunal a refusé de considérer que le site de petites annonces devait être considéré comme un « éditeur » responsable de tout ce qu’il publie, et lui a appliqué le régime des hébergeurs protégés par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Sans doute a-t-il voulu éviter d’envoyer ce message absurde mais néanmoins correct sur le plan juridique (jusqu’à un certain point) : ne modérez rien, vous serez mieux protégés que si vous vérifiez ce que vous publiez.

Condamné pour avoir fait croire à la vérité

Sans vraiment expliquer pourquoi il appliquait tout de même la LCEN, le TGI a donc écarté un certain nombre de griefs en raison du formalisme très strict des notifications d’infractions qui n’avait pas été respecté, et du fait que Le Bon Coin avait de toute façon réagi promptement pour retirer les annonces après notification par le fabricant.

Aussi, plutôt que condamner Le Bon Coin pour avoir laissé passer des annonces de produits contrefaits, le tribunal a condamné le site pour avoir fait croire qu’il lisait attentivement les annonces pour écarter les contrefaçons et donc pour avoir commis « une pratique commerciale trompeuse de nature à induire le consommateur en erreur sur la portée de son engagement ».

Mais Le Bon Coin modère effectivement les annonces, et supprime bien de très nombreuses annonces qui ne suivent pas son règlement. Il est donc condamné pour avoir dit la vérité, et pour avoir failli dans l’application de ces engagements.

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