C'est une décision sans appel. Les représentants de la Quadrature du Net, de l'UFC-Que Choisir et du SAMUP ne participeront pas à la mission Lescure. D'abord parce que son responsable est beaucoup trop lié à l'industrie du divertissement, ce qui pose de graves problèmes de conflits d'intérêts. Ensuite parce que la mission a une ambition beaucoup trop limitée au regard des enjeux.

Chargé par le gouvernement de conduire une mission sur l'avenir de la loi Hadopi et le financement de la création culturelle à l'ère du numérique, Pierre Lescure doit faire face à sa première fronde. Dans une tribune publiée lundi dans Écrans, les représentants de la Quadrature du Net, de l'UFC-Que Choisir et du SAMUP ont annoncé qu'ils ne participeraient pas à cette "caricature de débat démocratique".

Pierre Lescure et les conflits d'intérêts

La raison ? Elle réside d'abord dans le choix de Pierre Lescure pour diriger ces travaux. L'ancien directeur de Canal+ n'a pas une position totalement neutre sur les objectifs de la mission. En plus de ses anciennes fonctions chez Vivendi, l'homme a tissé au fil de sa carrière des liens étroits avec des sociétés qui sont directement concernées par ces débats et qui ont intérêt à les orienter dans un sens qui leur est favorable.

"La mission de définir les orientations des politiques portant sur la culture et Internet est confiée à une personne fortement impliquée dans les intérêts privés de la production, distribution et promotion des médias". Pierre Lescure est ainsi au conseil d'administration ou de surveillance de Lagardère et Havas, ainsi que Kudelski et Technicolor, deux firmes "qui jouent un rôle essentiel dans les dispositifs de contrôle d'usage des œuvres.

Une fois de plus. Car confier une mission à une personne dont les liens avec l'industrie du divertissement semble être une constante intangible des gouvernements successifs. Citons ainsi les missions menées par Denis Olivennes en 2007 (ancien patron de la FNAC, directeur d'Europe 1 et chargé du pôle d'information du groupe média Lagardère) et Patrick Zelnik (patron du label de musique Naïve).

Cette situation "révoltante" ne fait que confirmer un peu plus la "privatisation de la préparation des politiques publiques". Or ces risques évidents de conflits d'intérêts "devraient interdire de le nommer" à un tel poste, estiment Philippe Aigrain, Alain Bazot et François Nowak. Dès lors, hors de question de participer à cette "caricature de débat démocratique", les intéressés préférant tirer la sonnette d'alarme.

Une mission beaucoup trop limitée

Au-delà de la personne de Pierre Lescure, les auteurs de cette tribune déplorent "l’étroitesse de vue" de la mission confiée à l'ancien PDG de Canal+. "Seul semble importer la survie d'un modèle d'industrie de distribution culturelle dont les auteurs, artistes et techniciens sont le dernier souci", jugent-ils, taclant au passage la trop grande place faite à la télévision connectée.

Les représentants de ces organismes n'apparaissent pas non plus très convaincus de la proposition de Pierre de Lescure de légaliser certains échanges non marchands. L'idée a été détournée. "Là où nous y voyons un droit culturel essentiel s’appliquant à toutes les œuvres numériques, il n’y voit qu’une source de monétisation des fonds de catalogue". Pas de quoi mettre fin à "l'absurde guerre au partage non marchand".

Le départ des représentants de la Quadrature du Net, de l'UFC-Que Choisir et du SAMUP est un revers important pour Pierre Lescure, qui comptait bien légitimer les futures propositions de sa mission en s'appuyant sur des organisations représentant notamment les intérêts du public. Il reste le blog participatif, mais son rôle risque bien d'être très confidentiel.

"Pierre Lescure sera seul, avec un groupe de technocrates sans voix propre, pour décider de ce qu’il retient des auditions", estiment-ils. Celui-ci "a des idées bien arrêtées sur chacun des sujets devant pourtant faire l’objet des débats". Débats qui n'auront pas lieu, ajoutent-ils, puisque le point sur la situation a été confié "aux seuls membres de l'équipe technique, sans aucun échange contradictoire ni cadre officiel".


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