La Cour de Justice de l’Union Européenne met un frein aux demandes des ayants droit qui veulent être payés pour toute exploitation même indirecte de leur musique. Dans un arrêt rendu ce jeudi, elle estime que les dentistes qui allument la radio dans leurs cabinets n’ont pas à rémunérer les producteurs en sus de ce que payent déjà les stations de radio elles-mêmes. Une décision qui pourrait provoquer des réactions chez d’autres professionnels qui sont eux aussi invités à sortir leur carnet de chèques.

Voilà un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui pourrait avoir d’importantes répercussions sur la Sacem et toutes les sociétés de gestion collective en Europe. La CJUE, qui multiplie ces derniers mois les décisions favorables à un rééquilibrage des droits d’auteur en faveur du public et de la liberté d’expression, a publié jeudi 15 mars 2012 son arrêt SCF contre Marco Del Corso qui s’oppose une nouvelle fois à la toute puissance des ayants droit. Le juges remettent du bon sens dans les relations entre créateurs et diffuseurs.

L’affaire prend son origine en Italie. La Società Consortile Fonografici (SCF), qui défend les droits des producteurs de musique, avait voulu négocier avec l’association nationale des dentistes le paiement d’une rémunération forfaitaire pour la diffusion de musiques d’ambiance dans les cabinets des praticiens. Voyant que les négociations étaient au point mort, la SCF a décidé de faire un exemple en assignant en juin 2006 le docteur Marco Del Corso devant le tribunal de Turin, qui a débouté les producteurs dans un jugement rendu en mars 2008. Sollicitée, la cour d’appel de Turin a préféré demander son avis à la CJUE en lui demandant de dire si le droit communautaire imposait effectivement de faire payer la diffusion de musique auprès de patients dans un cabinet privé, au titre de la rémunération pour « communication au public » prévue par les textes.

Dans son arrêt, la CJUE rappelle que le docteur en question faisait écouter uniquement la musique diffusée par des stations de radio, et non pas des disques qu’il avait lui-même choisis. Or, la directive européenne de 1992 sur les droits d’auteur « impose aux États membres de prévoir un droit visant à assurer qu’une rémunération équitable et unique soit versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme (…) est utilisé pour une radiodiffusion (…) ou pour une communication quelconque au public« .

Les patients viennent se faire soigner, pas écouter de la musique

Si elle reconnaît que le dentiste est bien un « utilisateur » des chansons diffusées, la cour considère en revanche que les patients ne sont pas le « public » visé par les textes sur le droit d’auteur. Le public « vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important« , rappelle la Cour de justice, fidèle à sa jurisprudence. Pour parler de « public », il faut donc que le nombre d’auditeurs simultanés ne soit pas trop petit.

Or, « s’agissant des clients d’un dentiste, cette pluralité de personnes est peu importante, voire insignifiante, étant donné que le cercle de personnes présentes simultanément dans son cabinet est, en général, très limité« , constate la CJUE.

Par ailleurs, contrairement à un bar qui diffuserait des matchs de football, le dentiste ne choisit pas ce qu’il diffuse pour attirer une certaine clientèle et en attendre un retour financier. « Les clients d’un dentiste se rendent dans un cabinet dentaire en ayant pour seul objectif d’être soignés, une diffusion de phonogrammes n’étant point inhérente à la pratique des soins dentaires, s’amusent les juges. C’est fortuitement et indépendamment de leurs souhaits qu’ils bénéficient d’un accès à certains phonogrammes, en fonction du moment de leur arrivée au cabinet et de la durée de leur attente ainsi que de la nature du traitement qui leur est prodigué« . Dès lors, « une telle diffusion ne donne pas droit à la perception d’une rémunération en faveur des producteurs de phonogrammes« .

S’il est un arrêt d’espèce, concernant les dentistes ou plus généralement les médecins, l’arrêt pourrait inciter d’autres professions à contester les paiements qui leur sont demandés lorsqu’ils diffusent de la musique pour leur clientèle. Y a-t-il une grande différence, par exemple, entre un dentiste et un coiffeur (lesquels payent de plus en plus chers) ? Refusant de fixer le nombre de personnes à partir duquel il faut parler de « public », la Cour européenne prévient qu’il « incombe à la juridiction nationale de procéder à une appréciation globale de la situation donnée« . L’affaire du dentiste doit donc servir de canevas.

En attendant, en France, la Sacem demande entre 95,20 euros et 271 euros par an aux cabinets de médecins qui diffusent de la musique en salle d’attente, auxquels il faut ajouter la rémunération pour les artistes-interprètes et les maisons de disques, de 101,97 euros annuels minimum.


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