Le chapitre Internet de l’ACTA issu des négociations de Mexico achevées fin janvier a été diffusé par une source anonyme. Elle permet de savoir avec exactitude ce que prévoit le traité international secret en matière de lutte contre la contrefaçon sur Internet. L’occasion de faire le point.

L’accord international de commerce anti-contrefaçon (ACTA) est toujours négocié sous le sceau du secret par près d’une quarantaine de pays. Mais grâce à une fuite, le contenu du chapitre Internet a été révélé. Un document PDF (.pdf) dévoile en effet la version du texte telle que rédigée à l’issue du septième round de négociation organisé le mois dernier à Mexico.

Elle permet de savoir exactement ce que prévoit pour le moment l’accord en matière de lutte contre le piratage sur Internet, dont les négociations pourraient se poursuivre jusqu’en 2011.

Voici notre analyse des points clés, sous forme de FAQ :

L’ACTA prévoit-il une riposte graduée façon Hadopi ?

Non, ou pas explicitement. L’accord prévoit dans son article 2.17.3 (a) l’obligation pour les Etats d’affirmer l’absence de responsabilité des intermédiaires techniques (hébergeurs, fournisseurs d’accès, fournisseurs de services…), mais seulement s’ils respectent les conditions fixées par l’article 2.17.3 (b). Lequel impose d’implanter une « politique pour répondre au stockage non autorisé ou à la transmission de contenus protégés par le droit d’auteur ou des droits voisins« . Le terme de « politique » est très vague, et seule une note de bas de page donne comme exemple (et non comme obligation) la suspension de l’accès de l’abonné en cas d’infraction répétée. On ne peut donc pas dire sur un plan juridique que l’ACTA impose la riposte graduée, même si c’est bien là l’objectif politique.

Cependant le même article impose aussi de supprimer rapidement l’accès à des contenus ou des même des « activités » lorsqu’une infraction est notifiée à l’intermédiaire technique, ce qui pourrait s’interpréter comme une obligation de mettre en place une riposte graduée jusqu’à la suspension de l’accès à Internet. Mais l’article parle de notification « suffisante légalement », et prévoit également que la suspension ne peut s’exercer que s’il n’y a pas de « réponse suffisante légalement » de la part de l’abonné qui indiquerait une erreur. C’est donc au minimum encadrée par la loi, et au mieux par le juge, que la riposte graduée pourrait être imposée sur la base de cet accord.

De plus, et surtout, la fin de l’article 2.17.3 (b) précise que ces dispositions ne s’appliquent pas aux fournisseurs d’accès qui se contentent d’agir comme « de simples tuyaux« . On ne peut donc pas dire que l’ACTA crée une Hadopi internationale, même s’il trace clairement la route. Les Etats auront le dernier mot.

L’ACTA impose-t-il filtrage ou blocage de sites ou applications Internet ?

Oui. L’article 2.17.1 impose aux états signataires de prévoir des « actions efficaces » pour lutter contre la contrefaçon de droits d’auteur et de marques sur Internet, et notamment la possibilité pour les ayants droit de bénéficier de « mesures rapides » pour « empêcher la violation » des droits, et même de « mesures propres à empêcher toute infraction supplémentaire« . Il s’agit là clairement d’imposer le filtrage et le blocage de sites et applications susceptibles d’être utilisées pour pirater.

Mais là encore, la rédaction est suffisamment large pour laisser aux Etats la liberté de prévoir l’obligation de recourir à un juge (ce qui est la solution imposée par le Conseil constitutionnel en France) pour ordonner de telles mesures.

L’ACTA protège-t-il davantage les DRM ?

Oui. L’article 2.17.4 affirme l’obligation pour les états de transposer les accords de l’OMPI sur la protection des mesures techniques, déjà transposées en France par la loi DADVSI. Mais l’ACTA va encore plus loin en n’autorisant les états membres à prévoir des exceptions à la protection juridique des DRM que « tant qu’ils ne compromettent pas de manière significative le niveau de protection juridique de ces mesures ou l’efficacité des recours juridiques dans les cas de violation de ces mesures« .

Il est sous-entendu par cette réserve que toute mesure qui autoriserait le contournement des DRM à des fins d’interopérabilité, ou qui obligerait les fournisseurs de DRM à rendre leurs systèmes interopérables seraient contraires à l’ACTA, puisqu’elles rendraient de fait la protection des DRM inutile. Sauf erreur de notre part, il est en effet impossible de façon pratique d’assurer l’interopérabilité des DRM avec un système open-source sans révéler la clé de protection des contenus.

L’ACTA crée-t-il de nouvelles responsabilités juridiques ?

Oui, l’objectif du chapitre Internet de l’ACTA est clairement de viser les intermédiaires techniques, quels qu’ils soient. Face à la difficulté de lutter contre les usagers des services en ligne, le texte prévoit d’étendre la responsabilité pénale et civile à « toute personne qui autorise pour un bénéfice financier direct, induit par intermédiaire ou par une conduite destinée à promouvoir l’infraction, ou qui consciemment et matériellement facilite tout acte de contrefaçon de droits d’auteur ou de droits voisins par autrui« .

Dit plus simplement, tout agissement quel qu’il soit qui facilite la violation de droits d’auteur par un tiers est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, si c’est fait sciemment. Il s’agit ainsi d’étendre à tous les pays signataires la logique juridique de la jurisprudence Grokster imposée aux Etats-Unis, et traduite depuis en France par le célèbre amendement Vivendi à la loi DADVSI. Depuis la loi de 2006, il est interdit « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés« . C’est aussi sur le même type de critères que Kazaa fut condamné en Australie, ou l’auteur de Winny relaxé au Japon.

Sur un stricte plan juridique, c’est difficilement contestable. Sur un plan pratique, c’est dévastateur. L’amendement Vivendi a créé une véritable psychose en France, les développeurs et éditeurs ne voulant logiquement pas prendre le risque de se retrouver devant un tribunal parce qu’ils ont inventé le couteau qui a servi à tuer.

Enfin, on notera quelques postulats purement politiques imposés par l’ACTA. Les signataires doivent ainsi s’engager par écrit à « reconnaître que quelques personnes utilises des services de tiers, y compris de fournisseurs d’accès à Internet, pour exercer une violation de droits d’auteur ou de droits voisins« . Comme s’il fallait un traité pour le reconnaître. Personne ne le niait jusque là. Plus fort, les signataires doivent déclarer que « l’incertitude juridique » qui encadre la responsabilité pénale et civile en matière de droits d’auteur sur Internet « peut présenter des barrières au développement économique » et aux opportunités de développement du commerce électronique.

Pas sûr du tout que l’ACTA crée moins d’incertitude juridique qu’actuellement, bien au contraire…


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