Il ne s’est pas passé grand chose mardi pour le premier jour d’examen à l’Assemblée Nationale du projet de loi Hadopi 2. Mais les internautes qui observaient les débats ont pu voir que le nouveau règlement de la chambre des députés ne permettait pas à leurs élus de développer le moindre argument. Sauf à réussir l’exploit de défendre des idées complexes en seulement deux minutes chrono. Ca n’est plus un débat parlementaire, c’est du speed-dating.

Certes, il y a toujours des exceptions. Mais en général, le speed-dating n’offre pas les meilleures garanties de trouver la femme ou l’homme de sa vie dans les quelques minutes de rencontre qui offrent à peine le temps d’échanger quelques traits de caractère. En matière législative, le nouveau règlement de l’Assemblée Nationale qui impose aux députés d’enchaîner la présentation de leurs amendements en seulement deux minutes chacun n’offre pas non plus les meilleures garanties d’échapper à la censure du Conseil constitutionnel, loin s’en faut. C’est donc passablement agacé que le député Christian Paul a fustigé mardi « l’ambiance de speed-dating » de l’Assemblée Nationale, qui ne donne pas aux parlementaires le temps d’exposer clairement leurs arguments de fond avant le vote écrasant de la majorité, et donne à peu près l’assurance d’aboutir à un mauvais texte.

Le débat était déjà un simulacre avant la réforme. Il devient carrément blessant pour chaque citoyen meurtri qui observe la démocratie se renier sous ses yeux.

Pour tenter de prolonger le débat, les députés du groupe socialiste ont dû déposer leur liasse de 84 amendements en neuf exemplaires. Donnant le droit pour chaque amendement à neuf fois deux minutes de présentation. Où l’on repart à chaque fois de zéro sans avoir le temps d’achever son argumentaire. La démocratie irait beaucoup mieux s’il s’agit de deux fois neuf minutes pour chaque amendement… Mais encore faut-il le voir pour s’en émouvoir.

Ainsi dans cette ambiance de travail à la chaîne, les députés ne sont entrés que très tardivement dans le vif du sujet. Tout l’après-midi et pendant une partie de la soirée, les discussions en sont restées à des amendements périphériques sans rapport direct avec la procédure pénale proposée par le projet de loi, qui avaient déjà été défendus et rejetés lors de l’Hadopi 1.

A l’invitation du gouvernement, la majorité a ainsi rejeté pèle-mêle des amendements sur l’étiquetage de la part du prix de vente des œuvres reversée aux artistes, sur l’enseignement des licences libres à l’école, sur la taxation des revenus publicitaires des plateformes de musique en ligne au profit de la rémunération des auteurs et interprètes, sur une meilleure information des clés de répartition des sommes collectées pour les webradios, sur un relâchement de la protection juridique des DRM, ou sur la contribution créative une nouvelle fois présentée par les députés socialistes. Ils ont aussi rejeté toute une série de propositions de rapports parlementaires visant à travailler sur la rémunération de la création et le développement des offres légales.

A ce propos, tous les bancs et le gouvernement étaient d’accord sur la nécessité d’ouvrir le chantier de la rémunération des créateurs. Mais pas sur le calendrier à suivre. « Il y a beaucoup de points sur lesquels nous aurons beaucoup de choses à nous dire lorsque nous aurons voté la loi« , a ainsi recadré le ministre Frédéric Mitterrand, alors que l’opposition estime que la sanction est antinomique avec toute idée de taxation des FAI. Frédéric Mitterrand a assuré qu’il ouvrira « dès la promulgation de la loi » le chantier d’une « définition des nouvelles conditions de rémunération des créateurs« , à travers une « vaste concertation avec tous les acteurs de la culture et de l’internet« .

« Je veux faire voter cette loi à laquelle je crois profondément parce qu’elle nous servira de socle et de cadre pour tous les problèmes de rémunération des créateurs« , a ainsi plaidé l’hôte de la rue de Valois.

La question étant balayée, ou plutôt remise à la fin de l’année, les députés sont ensuite entrés dans le coeur du texte en débutant l’examen de l’article 1er du projet de loi Hadopi 2. Un examen tout d’abord secoué par un incident puisque surgissant de nulle part, le député UMP Jean Leonetti a sorti de sa poche l’article 57 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée Nationale qui permet d’écourter les débats avec l’accord de la majorité des députés. La plupart des députés inscrits pour donner leur avis sur l’article 1er sont alors passés à la trappe, malgré un temps de parole déjà broyé par le nouveau règlement. Une procédure exceptionnelle selon une source parlementaire. « Une première depuis 69 ans« , dira même Jean-Pierre Brard dans l’hémicycle, avec exagération. Mais l’incident n’a pas provoqué de grands remous, et la suite de la discussion s’est déroulée dans le calme.

L’article 1er, qui confère aux agents de l’Hadopi le pouvoir de constater les faits susceptibles de constituer des infractions au droit d’auteur sur Internet, a été vivement critiqué par l’opposition. Il est le socle de la procédure d’ordonnance pénale voulue par le gouvernement, puisque c’est sur la base de ces constatations que le juge unique désigné par le projet de loi pourra sanctionner les internautes par une procédure accélérée.

Sans sanction, « cette loi n’aurait pas d’effet, ce qui est une façon de mépriser le travail parlementaire » des députés qui avaient adopté Hadopi 1, a justifié Michèle Alliot-Marie. Mais l’excellent Jean-Yves le Bouillonnec, qui avait déjà expliqué en long et en large les motifs d’inconstitutionnalité du texte précédent, a ressorti son code de procédure pénale pour expliquer que l’Hadopi 2 souffrira du même destin que sa grande soeur, censurée par les sages.

S’appuyant sur le code de procédure pénale, le député socialiste a rappelé que le recours à l’ordonnance pénale supposait systématiquement l’existence d’une enquête préalable de police judiciaire, qui n’est pas prévue par l’Hadopi. Donc « tous les éléments fournis par l’Hadopi ne pourront pas servir au juge pour l’ordonnance pénale« , a prévenu M. Le Bouillonnec. De plus, a-t-il ajouté, « sur l’aspect contraventionnel« , il existe une notion de « force probante » qui suppose que « l’agent de police judiciaire a lui-même de visu constaté l’infraction« . Or l’Hadopi n’étant pas celle qui constate l’infraction, puisque les relevés d’adresse IP sont effectués par les sociétés mandatées par les ayants droit, et sont d’ailleurs sujets à caution, la procédure « ne permet pas l’établissement d’une contravention« . En somme, tout le dispositif pénal souhaité par le gouvernement serait tout simplement inapplicable, puisque contraire au code de procédure pénale.

« Ce que la loi fait, la loi peut le défaire« , a répliqué Michèle Alliot-Marie. Mais Jean-Yves Bouillonnec répliqua avec justesse que le texte qu’elle défend ne défait pas le code de procédure pénale, et que seule une fois modifiant ce code pourrait modifier les principes applicables aux ordonnances. Comme avec Hadopi 1, le gouvernement va dans le mur en klaxonnant.

« Vous prenez l’ordonnance pénale parce que vous essayez désespéremment de trouver une solution pour faire une répression de masse« , résumait dans la nuit la députée Martine Billard. « Vous vous trompez d’outils, parce que tel qu’il est codifié dans le code de procédure pénale vous ne pouvez pas l’utiliser« .

A la demande du gouvernement, les députés ont rejeté des amendements qui proposaient d’encadrer les constations des agents de l’Hadopi par un contrôle de l’autorité judiciaire. Sans doute savent-ils déjà que la procédure sera censurée par le Conseil constitutionnel, qui ne laissera pas d’autre choix au gouvernement que de laisser la justice ordinaire traiter les cas de piratage.

Suspendue dans la nuit de mardi sans avoir achevé l’examen de l’article 1er, le débat reprend ce mercredi à 9h30. A suivre en direct sur notre page spéciale hadopi.numerama.com.


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