« Demain nous ferons une intéressante annonce en matière de diplomatie numérique », promettait le 15 février Henri Verdier, l’ambassadeur pour les affaires numériques. Elle vient d’être dévoilée sur Twitter : Scripta Manent. Derrière ce nom qui emprunte à la célèbre expression latine Verba volant, scripta manent ( « les paroles s’envolent, les écrits restent ») se cache un nouvel outil de suivi de CGU.
Scripta Manent, pour analyser les CGU dans le temps
De quoi s’agit-il ? Cette plateforme hébergée par les services du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères propose au public d’observer les changements des documents contractuels des principaux fournisseurs de services en ligne et de voir leur évolution au fil du temps. En clair : le site souligne ce qui a changé dans la politique de protection de la vie privée, les conditions d’utilisation, et ainsi de suite.
Le choix de cette locution comme identité ne doit certainement rien au hasard : on devine que c’est une manière de dire que les belles promesses des plateformes, par exemple sur la vie privée, ne valent pas grand-chose tant qu’elles ne sont pas traduites juridiquement. En clair, tant que ce n’est pas écrit noir sur blanc dans un contrat, les engagements pris peuvent ne pas être suivis d’effet.
L’outil est particulièrement bien conçu, car il est simple à prendre en main, y compris pour des personnes n’étant ni juristes ni spécialistes en informatique. Il suffit de choisir dans le menu déroulant l’entreprise que l’on veut inspecter, le type de contrat qui nous intéresse, et de définir des dates. Scripta Manent génère ensuite un document hybride qui souligne avec un code couleur vert et rouge ce qui a changé.
Ci-dessous, vous avez un aperçu de l’évolution de la politique de protection de la vie privée pour Netflix, avec en rouge les retraits et en vert les ajouts. Selon les dates choisies, Scripta Manent devra peut-être aller chercher plus en avant ou en arrière dans le calendrier, car l’évolution des contrats peut avoir été faite à d’autres moments. Le site ira chercher l’évolution la plus proche par rapport à la date choisie.
Selon Henri Verdier, Scripta Manent gère 367 contrats provenant de 174 fournisseurs de service. Bien sûr, les principaux services sont recensés : citons par exemple Amazon, Airbnb, Alexa, Facebook, Flickr, Discord, Disqus, Gmail, Google, Instagram, Mozilla, DuckDuckGo, Qwant, Evernote, Skype, Snapchat, Yahoo, YouTube,Wikipédia, WhatsApp, Twitch, Twitter, TikTok, ou encore Telegram.
Pour son service, Scripta Manent n’est pas parti d’une feuille blanche : la plateforme a bénéficié du concours de l’association TOSBack, qui a transféré ses moyens de suivi et les documents dont elle dispose. L’enjeu maintenant est de pouvoir suivre ces contrats dans le temps, et d’ajouter d’autres services. Il existe d’ailleurs une initiative open source, baptisée Open Terms Archive, désireuse de recevoir des contributions.
Personne ne lit les CGU sur Internet
Il existe une plaisanterie sur Internet, qui dit que le plus grand mensonge sur Internet est l’assertion disant que vous avez lu et accepté les CGU. Cette plaisanterie n’a pas pris une ride, alors qu’elle existe depuis des années. La raison ? Les CGU sont des documents arides, et surtout interminables. Il a même été démontré que la lecture de certains contrats pourrait prendre plus d’une heure.
Cette réalité a donné lieu à diverses initiatives, assez proches de Scripta Manent. On se souvient de ToS;DR, qui vise à évaluer les CGU de façon collaborative, pour éviter de les lire, en attribuant juste une note générale et en formulant quelques remarques notables. Il y a aussi Polisis, qui se sert d’algorithmes pour essayer de résumer les CGU. Et en Californie, il y a même eu l’idée de limiter la taille des CGU, sans succès.
Si les CGU font depuis longtemps l’objet de cette plaisanterie, et qu’elles ne sont jamais prises au sérieux au moment de l’inscription à un nouveau service, elles sont pourtant très importantes. Elles « régissent les modalités d’interaction avec ses utilisateurs, comme les politiques de modération des contenus, la responsabilité de l’éditeur ou encore la juridiction compétente en cas de litige », rappelle Scripta Manent.
L’outil mis au point par les services d’Henri Verdier ne devrait toutefois pas vraiment servir au grand public — celui-ci ne lit déjà pas les CGU, alors il est peu concevable qu’il se mette à les analyser. Néanmoins, l’outil aura un intérêt pour d’autres, comme les pouvoirs publics, mais aussi les associations, les régulateurs, le législateur ainsi que les journalistes. C’est ce que pensent les concepteurs de la plateforme.
« En matière de manipulation de l’information, les pratiques décrites permettent de mieux appréhender les vulnérabilités de ces acteurs et la transcription des contraintes législatives, des recommandations des pouvoirs publics ou encore des mesures volontaires mises en œuvre et permettre d’apprécier leur loyauté », expliquent-ils. Et par conséquent, de mieux s’assurer que les intérêts des Européens sont respectés.
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