L’annonce de la mort du MP3 est en trompe l’œil, toute symbolique.
Si ses créateurs ont bel et bien clarifié qu’il s’agissait d’un format du passé — chose répétée par de nombreux acteurs depuis au moins dix ans — l’usage du format numérique ne décroit pas tant que ça. L’arrivée des nouveaux usages des formats audio (le streaming et la petite démocratisation de la Hi-Fi numérique) semble bien faire bouger les lignes sans toutefois que le grand public ne voit une alternative à un format qui a donné son nom à une nouvelle manière de consommer la musique.
À la manière de l’iPod ou du Walkman, le MP3 inaugurait autant une nouvelle technologie qu’une nouvelle pratique plaçant le son dans l’univers naissant du numérique, de la mémoire flash et du P2P. Un monde nouveau auquel s’ouvrait la musique, un jour neuf qui terrassera l’ancien à coup de fichiers légers, portables et infiniment reproductibles.
Une vieillerie technologique
En tant que codec, format de compression audio, l’algorithme qui se cache derrière le sigle MP3 est pourtant largement dépassé. Sa réussite initiale — un fichier léger reprenant les données essentielles à la reconstitution d’un son — n’est même plus valable en 2017 où d’autres formats proposent une qualité supérieure au MP3 pour un poids similaire ou inférieur.
C’est par ailleurs ce défaut et cette faiblesse qui ont contribué à faire la mauvaise réputation du codec auprès du public initié. Peu fidèle, bourré d’artefacts et de lacunes, le MP3 n’est pas l’ami de nos oreilles si nous y prenons un peu soin. Et pourtant sa popularité, qui va des boutiques de musique en ligne à son écrasante adoption dans les échanges P2P, a de quoi perturber et marginaliser toute éventuelle concurrence.
Cette mauvaise réputation remonte à l’heure où Microsoft imposait dans Windows XP un encodage MP3 limité à 128 kbit/s, soit la plus faible et la plus destructrice des configurations du format. Aujourd’hui, la mauvaise qualité du MP3 est nuancée par les résultats corrects obtenus par les encodages dépassant les 192 kbit/s, dont la nouvelle référence en 320kbit/s qui permet par exemple une restitution stéréo moins artificielle que celle du joint stéréo.
Voilà tout l’ambiguïté du format aussi imparfait que difficilement remplaçable tant il est accepté et utilisé. Néanmoins, depuis que les maisons de disques n’assurent plus le rôle de détaillant de la musique, les alternatives au MP3 émergent grâce aux nouveaux modèles de distribution, avec des succès relatifs.
Cachez-moi ce bitrate que je ne saurais voir
Le premier codec à s’imposer en alternative crédible et commerciale au MP3 est propulsé par Apple qui au début du millénaire accapare une grande partie de la vente de musique dématérialisée grâce à ses iPod et son iTunes Store. Le célèbre magasin propose des fichiers au format AAC — technologiquement un brin supérieur au MP3 –, un codec qui s’impose dans le monde de Cupertino — et surtout sur l’iPod qui en 2008 contrôlait plus de 70 % du marché de la musique numérique.
Au même moment, les formats libres se crédibilisent mais n’intéressent pas beaucoup les vendeurs. Les musiciens et mélomanes ont beau plébisciter les .flac ou encore le .ogg, plus direct concurrent du MP3, leur consommation et leur existence reste relativement limitée jusqu’à que la musique en streaming vienne heurter l’hégémonie de la vente numérique.
Et en effet, Spotify en premier lieu, s’affranchit du MP3 pour se tourner vers l’OGG, qui lui permet de gagner en rapidité et en efficacité puisque le format libre laisse le géant du streaming moduler la qualité de son encodage en fonction de l’abonnement et le débit du client. Ainsi, le scandinave propose dans ses applications mobiles et desktop un panel d’encodage en OGG allant du 96 kbit/s au 320 kbit/s.
Les maisons de disque n’étant plus à la manœuvre de l’encodage et de la distribution, chaque plateforme — pour des raisons technologiques ou tarifaires — peuvent désormais gagner en marge de manœuvre sur la qualité proposée.
Faire mieux, c’est un choix
C’est par exemple le cas de Qobuz, puis Tidal, qui ont affirmé dans le streaming une volonté de niveler par le haut la qualité audio, quitte à balayer le MP3. Le premier, service français bien connu des mélomanes, propose par exemple en streaming le format libre et lossless (sans perte ni destruction de données) FLAC. Tidal de son côté, grâce à l’opiniâtreté de Jay-Z, adopte également le FLAC pour ses forfaits les plus premium et l’AAC pour les autres, format héritier du MP3, bien meilleur à la compression.
L’autre géant du marché du streaming est bien sûr Apple Music qui a rattrapé rapidement son retard sur ses concurrents grâce à une arrivée agressive sur un marché saturé. Avec ses plus de 20 millions d’abonnés en 2017, le service de Cupertino est également en mesure de populariser une alternative au MP3 : il a donc choisi l’AAC.
Toutefois, Apple contient l’encodage à 256 kbit/s — ce qui est largement suffisant pour égaler une qualité MP3 320kbit/s. On trouve également l’AAC sur YouTube mais à un bitrate très faible, en-dessous des 200 kbit/s, ce qui devrait dissuader chacun d’écouter de la musique sur la plateforme de Google (d’accord, c’est pratique en soirée).
Google Music, Deezer et de nombreux autres acteurs du streaming continuent en parallèle de distribuer en MP3 leur streaming, pour des raisons de compatibilité mais également parfois parce que les contrats scellés sur les catalogues contraignent ces plateformes. Chez Google, on trouve du 320 kbit/s, dégradé en fonction du débit. Chez Deezer par exemple, l’écoute est en 128 kbit/s à moins que l’utilisateur passe à la caisse et demande une option Hi-Fi (ce n’est pas notre définition de Hi-Fi mais passons.)
Mort ou survivant le MP3 ? Difficile d’établir un bilan ou même une épitaphe. À l’image d’un vieux souvenir, l’encodage le plus populaire du monde continue d’être une référence collective, voire un gage de qualité pour certains. Toutefois, la mutation du secteur de la distribution de la musique, qui est désormais majoritairement assurée par des entreprises technologiques et non créatives, pousse de nouveaux formats plus efficaces — sans toujours être meilleurs — à prendre une place importante dans nos vies, sans que l’on ne le remarque pour autant.
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