Un modèle payant agressif, une protestation de l’un des comptes les plus actifs, un bannissement qui ne passe pas et un agacement croissant des membres. Tels sont les ingrédients qui sont en train de plonger YggTorrent, l’un des carrefours francophones du peer-to-peer (P2P), dans la tourmente.

Est-ce le début de la fin pour YggTorrent ? En tout cas, le célèbre annuaire francophone de liens BitTorrent connaît une tourmente inédite. Ces derniers jours, la plateforme dédiée au piratage de contenus culturels est le théâtre d’un conflit : non pas avec le régulateur du numérique (Arcom), qui lutte contre le téléchargement illégal, mais entre les membres et les gérants du site.

L’éviction de QTZ

La crise a véritablement éclaté après l’éviction de la Team QTZ, un groupe d’internautes très prolifique dans la mise à disposition et le partage de fichiers — sur YggTorrent, leur profil indiquait 3 316 torrents partagés au compteur. Leur faute ? Avoir publié un message annonçant leur retrait de l’annuaire pour protester contre la nouvelle politique.

Un message qui n’a de toute évidence pas du tout ravi les responsables de YggTorrent, puisqu’il a été supprimé tandis que l’équipe a été bannie. Sur Reddit, mais aussi sur X, les réactions se multiplient, beaucoup dénonçant une modération expéditive et un aveuglement de la direction, accusée de ne pas prendre la mesure de la crise de gouvernance en cours.

Team QZT
Source : Capture d’écran

Ce n’est pas la première fois qu’un site warez est plongé dans la tourmente. L’histoire du piratage, en France comme à l’étranger, est jalonnée de tumultes aux raisons diverses : The Pirate Bay, T411, Zone-Téléchargement, MegaUpload, Wawa-Mania… YggTorrent n’était pas non plus épargné. En 2018, un mécontentement interne émergeait déjà.

Mais le bannissement de la Team QTZ semble être l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Les tensions étaient déjà grandes quelques jours avant, mais pour de nombreux membres, cette décision envoie un signal désastreux : le site préfère sacrifier ses meilleurs fournisseurs de contenu pour faire taire la contestation, qui cible les nouvelles règles du service.

Le virage commercial du mode « Turbo »

Au cœur de la discorde se trouve une évolution drastique du modèle économique de YggTorrent. Pour inciter ses membres à prendre l’abonnement premium, baptisé Turbo, la plateforme a installé des restrictions techniques sur les profils gratuits, que la communauté juge insupportables.

Comme on peut le lire sur des messages parus sur X, les comptes gratuits se voient désormais imposer un plafond de cinq téléchargements par jour, assorti d’un délai d’attente de trente secondes avant de pouvoir récupérer effectivement un fichier torrent. Ce sont ces nouvelles contraintes qui ont conduit la Team QTZ à cesser ses contributions.

bittorrent
Un logiciel d’échange via BitTorrent.

« Le dimanche 21 décembre, en milieu d’après-midi, et en pleine période de fêtes, YggTorrent a déployé un nouveau paywall baptisé Turbo, imposant soit de passer à la caisse, soit d’accepter » les limites indiquées plus haut, lisait-on dans le message. « Il va sans dire que cette nouvelle fonctionnalité n’étonne personne. »

« Le site, qui n’est censé n’être qu’un simple outil de diffusion, s’est toujours positionné comme un intermédiaire entre les teams et les utilisateurs, non pas pour promouvoir la liberté et le partage, mais pour imposer une commission […] sur le dos des uploadeurs et des teams, sans lesquels le tracker ne serait tout simplement pas alimenté. »

Jugeant que « c’est la goutte de trop », QTZ annonçait en conséquence l’arrêt de ses partages sur YggTorrent et appelait la communauté, des internautes aux uploaders, en passant par les teams, « à rejoindre le mouvement en coupant le seed [l’envoi] et en suspendant la publication [des fichiers] sur le site. »

Rupture du « contrat moral »

Pour QTZ comme pour une partie des habitués des échanges en peer-to-peer, le virage de l’annuaire marque une rupture du « contrat moral » lié au P2P. Ce système, fondé historiquement sur le partage bénévole et l’entraide, a muté en une mécanique purement mercantile, accusent les détracteurs de YggTorrent.

En l’espèce, le site est accusé de brider artificiellement l’expérience du public non pas pour des raisons techniques, mais pour monétiser autant que possible des contenus dont il ne détient aucun droit ni pour lesquels il a fait une contribution particulière — hormis l’annuaire. C’est précisément ce point que la Team QTZ avait soulevé avant d’être réduite au silence.

Il faut cependant souligner, au-delà des considérations propres à l’univers du P2P, qu’en l’état actuel du droit, le téléchargement et le partage d’œuvres protégées par le droit d’auteur sont illégaux, du moins sans le consentement préalable des titulaires de droits. Les pirates, les teams, les uploaders et les gérants de YggTorrent s’exposent à des sanctions.

La crainte de l’« Exit Scam »

De son côté, le message initial de YggTorrent justifie ce mode Turbo en raison « d’une hausse importante des bots, du ghost leeching et des comportements de hit & run. Le tracker gère aujourd’hui des millions de pairs, dont une part significative est automatisée. Des mesures sont nécessaires pour garantir la stabilité du service. »

Une explication qui, au regard des tensions persistantes et croissantes dans la communauté, n’a pas fait mouche.

Des internautes avancent des prédictions pessimistes, à l’image de la thèse de l’exit scam évoquée par ImportanceStrong51 : « ils doivent en avoir marre, ou craindre des procédures judiciaires, et tentent un dernier gros coup avant de tirer le rideau et de disparaitre avec la caisse ». « Ils vont juste se barrer avec la thune », prédit aussi un autre.

Source : Capture d'écran
Source : Capture d’écran

En clair, l’exit scam consiste à maximiser les revenus à court terme, c’est-à-dire en pressant le citron jusqu’à la dernière goutte. Et tant pis pour l’image de YggTorrent, l’avenir de l’annuaire et l’esprit du P2P. Si une fermeture ou un abandon du site est dans les cartons, ou si la menace des autorités est trop fort, alors autant aspirer ce qui peut encore l’être.

Cette hypothèse reste à vérifier. Le fait est que, pour l’heure, YggTorrent est toujours techniquement fonctionnel. Mais la mécanique pourrait être grippée, voire cassée. Certains internautes disent retirer leurs fichiers en partage, pour affaiblir l’offre de la plateforme, tandis que d’autres tentent de trouver une alternative séduisante.

Des noms comme Sharewood ou TheOldSchool circulent déjà comme des solutions de repli, bien que ces plateformes d’échange soient souvent moins ouvertes pour filtrer les entrants. Il reste maintenant à voir si la contestation aura raison de YggTorrent ou si la fronde s’épuisera d’elle-même, faute d’un ralliement suffisant de la communauté.

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