Ce n’est pas l’avion de l’apocalypse, surnom donné au Boeing E-4 en raison de son rôle qu’il aurait en cas de conflit nucléaire (le transport du président des États-Unis). Mais c’est toutefois un aéronef qu’on préférerait plutôt voir cloué au sol. Parce que s’il se trouve en l’air, cela signifie généralement que le sujet du nucléaire a pris une soudaine importance.
Or, voilà que le magazine Newsweek signale dans son édition du 6 août 2025 qu’un Boeing WC-135 Constant Phoenix a pris son envol depuis une base militaire située au Royaume-Uni, sur ordre de Washington. Sa destination, au regard de ses informations de vol ? La mer de Norvège, le long des côtes européennes, et surtout la mer de Barents, au-dessus de la Russie.

Que des avions passent à proximité d’autres nations, en frôlant leur espace aérien, est plutôt courant. C’est même devenu quasi-quotidien en Europe à la suite de la guerre d’invasion russe en Ukraine. Moscou envoie des engins le long des frontières de l’OTAN, qui réplique. Mais le WC-135 Constant Phoenix n’est pas un appareil anodin.
Un avion renifleur de nucléaire
C’est ce qu’on pourrait appeler un détecteur aérien d’évènement nucléaire. Comme le rappelle l’US Air Force, son rôle est de récupérer des échantillons de l’atmosphère pour repérer traces radioactives pouvant être le signe d’une activité nucléaire anormale — un accident dans une centrale, un test sur une base secrète ou bien une explosion.
« Le WC-135 a joué un rôle majeur dans le suivi des débris radioactifs provenant de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en Union soviétique », relève le Pentagone. En somme, le Boeing WC-135 Constant Phoenix est un avion renifleur qui « permet à l’équipage de la mission de détecter en temps réel les nuages radioactifs ».


Il participe à la surveillance et à la bonne application du traité d’interdiction partielle des essais nucléaires de 1963, qui prescrit tout test nucléaire dans l’atmosphère. Ce traité a notamment été signé par les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, le Pakistan et l’Inde, puissances nucléaires, mais pas par la France, la Chine et la Corée du Nord.

La trajectoire de vol du Constant Phoenix, que l’Amérique a actuellement en deux exemplaires dans sa flotte, a conduit l’avion à s’approcher tout à la fois du long archipel de la Nouvelle-Zemble, tout au nord de la Russie, et de l’oblast de Mourmansk, où l’on trouve certains sites militaires nucléaires, et des bases navales stratégiques.
Le vol du Constant Phoenix dans les environs de la Nouvelle-Zemble laisse à penser que des activités nucléaires pourraient prochainement y survenir ou auraient déjà eu lieu. Historiquement, cette longue bande de terre a été le site privilégié de l’Union soviétique pour tester des armes nucléaires, très loin de la population.
Un test de missile de croisière nucléaire ?

Hypothèse avancée dans Newsweek : la perspective d’un test d’un nouveau type de missile de croisière, le Bourevestnik 9M730 (ou SSC-X-9 Skyfall dans la terminologie OTAN). Celui-ci appartient à la liste des six armes de pointe annoncées en 2018 par Vladimir Poutine, avec l’Avangard, le Zircon, le Kinjal, le Poséidon et le Sarmat.
Sa particularité réside dans sa motorisation, qui implique une propulsion nucléaire — en plus de la charge nucléaire qu’il transporte. Pour le reste, c’est un missile classique. Contrairement à un missile balistique qui suit une trajectoire en forme de cloche, le missile de croisière longe davantage le sol, en volant dans l’atmosphère.
L’éventualité d’un test nucléaire dans l’atmosphère survient alors que le cadre régissant le développement, le déploiement et l’expérimentation de certains armements entre la Russie et les États-Unis a été amoindri. Ainsi, Washington et Moscou se sont retirés du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, en 2019 et 2025 respectivement.
D’ailleurs, l’ex-président russe Dmitri Medvedev, désormais vice-président du Conseil de sécurité de Russie, a indiqué le 4 août que, selon le ministère russe des Affaires étrangères, le pays ne se considérait plus lié aux restrictions prévues par ce texte. L’intéressé prévenait alors l’OTAN que « de nouvelles mesures » allaient arriver.
Poussée de fièvre et mise en garde mutuelle
Tout cela survient alors qu’une relative poussée de fièvre a justement eu lieu fin juillet entre la Russie et les États-Unis. Alors que Washington essaie de pousser Moscou à arrêter sa guerre en Ukraine en brandissant le spectre de sanctions à court terme, Dmitri Medvedev a montré les muscles sur X (ex-Twitter) en adoptant un ton plus menaçant.
« Trump joue au jeu de l’ultimatum avec la Russie : 50 jours ou 10… Il devrait se souvenir de deux choses : 1. La Russie n’est ni Israël ni même l’Iran. 2. Chaque nouvel ultimatum est une menace et un pas vers la guerre. Pas entre la Russie et l’Ukraine, mais avec son propre pays », a-t-il écrit le 28 juillet, provoquant une réaction du président américain.

« Sur la base des déclarations très provocantes de l’ancien président russe, […] j’ai ordonné le déploiement de deux sous-marins nucléaires dans les régions concernées, au cas où ces déclarations insensées et incendiaires ne seraient pas que des paroles en l’air. Les mots ont beaucoup d’importance et peuvent souvent avoir des conséquences imprévues », a-t-il lancé.
Depuis, les choses apparaissent s’être calmées en matière de rhétorique nucléaire. Du moins, le porte-parole du Kremlin a déclaré le 4 août que « chacun doit être très, très prudent avec la rhétorique nucléaire ». Il reste à savoir si cette prudence s’appliquera aussi aux essais. Or, le vol du Constant Phoenix n’est pas le meilleur des signaux.
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