La course a commencé. Depuis des mois, les annonces pleuvent dans le domaine de l’hydrogène vert. La France, par exemple, mise gros sur cette filière. Au début du mois d’octobre 2021, le gouvernement annonçait ainsi la couleur en déclarant son intention de récupérer la place de leader mondial dans ce secteur, en mobilisant pour ce faire plusieurs milliards d’euros sur plusieurs années.
Dans d’autres pays du monde, cet hydrogène vert fait l’objet d’une attention tout aussi forte. L’Espagne a par exemple annoncé fin mai un investissement de l’ordre de 1,5 milliard d’euros sur cette innovation. Au même moment en Chine, le géant Sinopec, spécialisé dans le pétrole et la chimie, dévoilait un projet de centrale d’hydrogène vert basée à Ordos en Mongolie.
Mais quels sont exactement les avantages et les limites de l’hydrogène vert ?
C’est quoi l’hydrogène vert ?
L’hydrogène est un gaz utilisé par beaucoup d’industriels notamment les entreprises de la chimie et de l’électrochimie (pour la production d’ammoniac, le raffinage du pétrole, etc.), mais aussi dans la métallurgie, l’électronique ou la pharmacologie. Son nom exact est le dihydrogène (H2). Il n’émet pas de CO2 lorsqu’il est utilisé, mais le processus qui permet de le fabriquer peut, lui, avoir une empreinte carbone élevée.
En 2013, le CEA indiquait que 95 % de l’hydrogène était encore produit par un procédé appelé reformage : « cette réaction chimique casse les molécules d’hydrocarbure sous l’action de la chaleur pour en libérer le dihydrogène. Le vaporeformage du gaz naturel est le procédé le plus courant : le gaz naturel est exposé à de la vapeur d’eau très chaude, et libère ainsi le dihydrogène qu’il contient. Mais la production de dihydrogène par reformage a l’inconvénient de rejeter du dioxyde de carbone (CO2).»
Cet hydrogène baptisé hydrogène gris est responsable de l’émission de 830 millions tonnes de CO2 par an — l’équivalent annuel des émissions du Royaume-Uni et de l’Indonésie combinées. Il est cependant possible de fabriquer de l’hydrogène par un procédé bien plus écologique : la décomposition de l’eau. Il s’agit ici, explique le CEA de « dissocier les atomes de dioxygène et de dihydrogène combinés dans les molécules d’eau (selon la réaction H2O -> H2 + 1/2 O2).» Ce processus n’émet pas de gaz à effet de serre dès lors que cette dissociation est opérée avec des énergies n’émettant pas de CO2. Le procédé le plus utilisé est l’électrolyse : la décomposition chimique de l’eau en dioxygène et dihydrogène sous l’action d’un courant électrique. Si l’électricité utilisée provient de filières vertes (solaire, éolien, etc.) et pas de centrales de charbon, on peut alors parler d’hydrogène vert.
Pourquoi le monde entier s’intéresse-t-il à l’hydrogène vert
Même si les entreprises réalisent toutes les économies d’énergies à leur portée (ce qui est crucial), certains secteurs continueront d’avoir des besoins énergétiques importants pour fonctionner. Le problème est que les solutions vertes actuelles ne répondent pas toujours bien à leurs besoins. L’éolien et le solaire sont en effet des énergies intermittentes et l’électricité ne se stocke pas très bien.
L’hydrogène lui se stocke facilement et est utilisable de bien des manières. Il peut être transporté « sous forme gazeuse dans des pipelines, ou liquide par des bateaux » note l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). Il peut être transformé en carburant pour les voitures, les camions, les bateaux ou les avions. La transformation permettant de produire de l’hydrogène grâce à de l’eau et de l’électricité est par ailleurs réversible. L’hydrogène peut donc servir à stocker de l’électricité qu’il sera possible de récupérer grâce à des piles à combustible.
Ces caractéristiques font de l’hydrogène vert une solution très intéressante selon l’AIE : « il peut servir à stocker l’électricité intermittente du solaire et de l’éolien (…) et aider les secteurs où il est difficile de réduire les émissions — transport longue durée, chimie, sidérurgie — à se décarboner. L’IEA précise que l’hydrogène vert devrait également améliorer la qualité de l’air et renforcer la sécurité énergétique des pays qui le produisent. L’agence indique d’ailleurs clairement, dès le préambule de son rapport sur l’avenir de l’hydrogène : « C’est le moment de faire passer ces technologies à l’échelle supérieure et de réduire leurs coûts afin que l’hydrogène puisse être largement utilisé. »
Quelles sont les limites de l’hydrogène vert ?
L’hydrogène vert n’occupe pour le moment qu’une petite place dans le bouquet énergétique européen et mondial. Le principal frein à son développement est son coût. Comme le rappelle le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), alors que le coût de l’hydrogène gris est d’environ 1,5 euro par kilo dans l’UE, celui de l’hydrogène vert se situe entre 2,5 à 5,5 euros par kilo.
Selon les professionnels du secteur, plusieurs actions permettraient de faire baisser significativement les coûts de l’hydrogène vert :
- Améliorer et massifier la production d’électrolyseurs;
- Améliorer et massifier la production des piles à combustible;
- Développer l’usage de l’hydrogène sur le fret;
- Faire baisser le coût de l’électricité verte (avec de l’éolien en mer par exemple).
Selon eux, de telles mesures permettraient de diviser les coûts de l’hydrogène par deux si ce n’est plus. De gros progrès ont déjà été faits. « depuis 2002-3, le prix des piles à combustible a été divisé par 50, et la performance améliorée d’autant. Il reste une deuxième rupture à réaliser pour les rendre encore plus compétitives, mais l’accélération s’est accentuée ces 3 ou 4 dernières années », note ainsi dans Capital Daniel Hissel, directeur adjoint de la Fédération de Recherche Hydrogène (FRH2) du CNRS.
L’Agence Internationale de l’Énergie indique que dès 2030, il serait possible de réduire les coûts de l’hydrogène vert de 30 % grâce à la massification de la production et à la baisse du coût des énergies renouvelables nécessaires à sa production. Il est cependant possible, notent Les Échos, qu’une taxe carbone soit nécessaire pour que l’hydrogène vert devienne réellement compétitif.
L’utilisation de cette source d’énergie devra par ailleurs être soigneusement encadrée par les autorités. Qu’elle augmente est une bonne chose, mais la filière ne pourra pas répondre à tous les besoins énergétiques des entreprises et entités qui voudraient améliorer leur bilan carbone. Il sera donc important de privilégier celles qui n’ont pas d’autres options que l’hydrogène pour réduire leurs émissions, et inciter celles qui ont d’autres alternatives à leur portée (économies d’énergie, etc.) à s’en saisir en priorité.
Qu’appelle-t-on « hydrogène bleu » ?
Hydrogène gris, hydrogène vert, hydrogène bleu… la filière nous en fait littéralement voir de toutes les couleurs avec ses appellations. L’expression « hydrogène bleu » désigne toutefois un cas de figure bien précis : lorsque la fabrication d’hydrogène a émis du dioxyde de carbone, mais que ce CO2 a été capté puis stocké ou réutilisé. Sur le plan environnemental, l’hydrogène bleu se situe donc entre l’hydrogène gris (dont la fabrication émet beaucoup de CO2) et le vert (qui n’en émet pas).
Comme le précise l’Agence Internationale de l’Énergie, il y a plusieurs sites industriels qui utilisent des procédés de capture et de stockage ou de réutilisation de l’hydrogène et d’autres sont en projet, mais il faudrait, selon elle, en développer davantage.
Quels sont les projets de la France dans l’hydrogène vert ?
La France a annoncé à l’automne 2020 un plan hydrogène de 7 milliards d’euros. Un investissement pas excessif considérant les enjeux. En se développant sur l’hydrogène vert, la France a en effet l’opportunité de bâtir, sur son sol, toute une filière industrielle à fort potentiel économique, et dont les avancées seraient utiles à la lutte contre le changement climatique.
Le pays peut qui plus est s’appuyer sur un réseau de chercheuses et de chercheurs français qualifiés sur le sujet. « La recherche française est à l’état de l’art mondial, dans le peloton de tête. Le nombre de chercheurs étrangers que nous recevons permet d’en juger », font ainsi valoir dans Capital, Olivier Joubert et Daniel Hissel, de la Fédération de la recherche sur l’hydrogène (FRH2) du CNRS.
Il faudra cependant batailler pour s’imposer face aux autres pays intéressés par le potentiel de l’hydrogène. « L’hydrogène décarboné reçoit actuellement un soutien important des gouvernements et des entreprises du monde entier. Le nombre de politiques et de projets sur ce sujet augmente rapidement », notait déjà en 2019 l’Agence Internationale de l’Énergie. La Chine, notamment, mise beaucoup sur cette filière. Il serait dommage de reproduire l’erreur commise dans les années 2000 et 2010 sur le solaire. L’industrie photovoltaïque européenne — sans doute pas suffisamment soutenue par l’UE — s’était ainsi cassé la figure lorsque la Chine avait investi le domaine. Bilan des courses : alors qu’il se fabriquait 30 % des modules photovoltaïques mondiaux dans l’UE en 2007, le chiffre avait dégringolé à 3 % en 2017.
En France, l’association France Hydrogène qui rassemble 320 acteurs du secteur a pour objectif de faire passer la production d’hydrogène décarboné (vert ou bleu) de 45 000 tonnes en 2020, à 700 000 tonnes en 2030. Elle estime que le développement de cette filière permettrait de créer plus 100 000 emplois et d’éviter l’émission de 6 millions de tonnes de CO2 par an. Pour développer la filière hydrogène, la France devra, comme les autres pays, mettre les ports industriels au centre de ses réflexions et développer l’usage de l’hydrogène dans le transport. L’Agence internationale de l’énergie recommande également aux pays qui souhaitent se lancer dans l’aventure d’exploiter autant que faire se peut, les infrastructures existantes (pipelines de gaz naturels, etc.).
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