Nommé ainsi en hommage au physicien Albert Einstein, l’einsteinium est un élément lourd, difficile à produire, maintenir, et donc à étudier. Des scientifiques ont enfin réussi à en mesurer des propriétés, mais leurs travaux ont été interrompus par la pandémie.

Le tableau périodique des éléments chimiques contient aujourd’hui une centaine d’éléments. Beaucoup sont bien connus : hydrogène, sodium, xénon, magnésium… Mais certains d’entre eux se trouvent être plus discrets et, surtout, plus insaisissables pour les scientifiques. C’est le cas de la catégorie des actinides, et tout particulièrement du 99è élément : Es, pour « einsteinium ». Découvert en 1952 lors de l’analyse des résultats de la première explosion d’une bombe H, cet élément chimique de type synthétique a été nommé ainsi en hommage à Einstein.

Depuis sa découverte, les scientifiques n’ont pas eu beaucoup d’occasions d’étudier cet élément. Et pour cause, il est très difficile de le créer. Une équipe conjointe de Berkeley et du laboratoire de Los Alamos a pourtant bien réussi, tout récemment, à mesurer les propriétés de l’einsteinium. Ils publient leurs trouvailles dans un article de recherche paru le 3 février 2021 dans Nature.

« On ne sait pas grand-chose sur l’einsteinium »

« On ne sait pas grand-chose sur l’einsteinium », précise d’emblée l’une des autrices de l’article de recherche, Rebecca Abergel, estimant alors qu’il s’agit là d’un « accomplissement remarquable » que d’avoir pu travailler avec une petite quantité de matériau. « C’est important car plus nous comprenons son comportement chimique, plus nous pouvons appliquer ces connaissances au développement de nouveaux matériaux ou de nouvelles technologies, pas nécessairement seulement avec l’einsteinium, mais aussi avec le reste des actinides. Et nous pouvons établir des tendances dans le tableau périodique. »

Tableau périodique. // Source : Wikimedia (annotation Numerama)

Tableau périodique.

Source : Wikimedia (annotation Numerama)

L’einsteinium contient 99 protons. C’est beaucoup, et il constitue donc un élément lourd. Il fait même partie des éléments transuraniens : les éléments plus lourds que l’uranium. Pour le produire, la logistique à mettre en œuvre est énorme. Nos connaissances de la physique sont mises à rude épreuve. « Ce papier de recherche est une longue série d’événements malheureux », se souvient d’ailleurs Rebecca Abergel. Pour obtenir de l’einstenium, les scientifiques ont dû bombarder du curium — un élément plus léger — avec des neutrons, dans l’espoir de déclencher une réaction chimique en chaîne conduisant finalement à l’Es, le 99è élément. Tout le défi était alors d’obtenir de l’einstenium pur, et il faut insister sur le mot pur car là est toute la difficulté. Cette phase ne fut pas une partie de plaisir : le processus chimique a été contaminé à plusieurs reprises par le californium, un autre élément.

Deuxième étape dantesque dans ce parcours du combattant pour les physiciens et physiciens du laboratoire : une fois l’einstenium pur obtenu, il faut l’étudier rapidement, avant que la désintégration radioactive ait fait disparaître l’élément. En l’occurrence, ils ont réussi à obtenir de l’einsteinium-254, un isotope de l’einsteinium dont la demi-vie est de 276 jours : à l’issue de cette période, l’élément est désintégré de moitié et n’est plus présent en quantité suffisante pour être étudié.

L'équipe de recherche à Berkeley : Leticia Arnedo -Sanchez, Korey Carter, Katherine Shield. // Source : (Credit: Marilyn Sargent/Berkeley Lab)

L'équipe de recherche à Berkeley : Leticia Arnedo -Sanchez, Korey Carter, Katherine Shield.

Source : (Credit: Marilyn Sargent/Berkeley Lab)

Au fil de ces journées, les scientifiques ont pu mener toute une série d’expériences, qu’ils retranscrivent dans leur papier publié dans Nature. Mais un événement est venu interrompre le processus de recherche : la pandémie liée à la maladie Covid-19. Les expériences ont été obligatoirement interrompues par le confinement, et, lorsque les scientifiques sont revenus au laboratoire quelques semaines plus tard… la majorité de l’échantillon d’einsteinium s’était désintégré et n’était plus étudiable. Recommencer le processus de création de l’élément était trop complexe à court terme.

Vers de nouveaux éléments du tableau périodique

Quoi qu’il en soit, les expériences qui ont été menées avant l’interruption des travaux et lé désintégration de l’élément ont abouti à des trouvailles importantes.

Ils ont par exemple réussi à mesurer la longueur de liaison de l’einsteinium. « Déterminer la longueur de la liaison peut ne pas sembler intéressant, mais c’est la première chose que vous voudriez savoir sur la façon dont un métal se lie à d’autres molécules. Quel type d’interaction chimique cet élément va-t-il avoir avec d’autres atomes et molécules ? », explique Rebecca Abergel. L’équipe de recherche a également pu caractériser le comportement physico-chimique de l’einsteinium — un comportement différent de ce qui était prévu pour la catégorie des actinides.

« Nous commençons vraiment à comprendre un peu mieux ce qui se passe vers la fin du tableau périodique, et la prochaine étape, c’est vous pourriez aussi envisager de cibler de l’einsteinium [comme le curium a été ciblé pour obtenir de l’einsteinium, ndlr] pour découvrir de nouveaux éléments », conclut Rebecca Abergel.

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