Fabriqués en silicone ou en plastique, ces nouveaux robots ne sont plus conçus à partir de squelettes rigides articulés et actionnés par des moteurs placés au niveau des articulations comme nous les connaissons traditionnellement. L’impression 3D permet aujourd’hui de créer des structures complexes composées de matières rigides et déformables, proches des matières organiques et des tissus que l’on retrouve dans la nature comme des vaisseaux sanguins, des oreilles, des matériaux alvéolaires…
Pour répondre à certains défis du domaine de la robotique pour l’industrie, comme la collaboration directe et sûre entre les opérateurs et les robots, la miniaturisation, par exemple la manipulation des cellules, et pour des applications médicales, comme les interventions chirurgicales minimalement invasives, certains chercheurs développent de nouvelles méthodes de conception. Ces soft robots – des robots « souples » ou « mous » – ouvrent aussi des perspectives en termes de réduction des coûts de fabrication, de robustesse, et de sécurité. Cette nouvelle approche de la conception pourrait constituer une avancée majeure en robotique dans les années à venir.
Pourquoi faire un robot souple ?
Optimiser le choix des matériaux utilisés n’est pas nouveau en robotique, mais en général la conception privilégie le maximum de rigidité pour le minimum de masse. On fabrique dans ce cas des robots en aluminium creux ou en fibre de carbone, par exemple, qui ne « tremble » pas, et qui peuvent passer d’une position à une autre à grande vitesse. Cette approche de conception est bien adaptée à certains problèmes industriels de cadence et de positionnement absolu comme la peinture ou la soudure des carrosseries de voiture.
En robotique souple, on cherche exactement l’inverse. Pourquoi ? D’une part, même dans l’industrie, on évolue vers des robots devant collaborer directement avec les utilisateurs et utilisatrices – ce sont les fameux cobots, dont le marché est en pleine croissance. Or, des robots trop rigides évoluant à vitesse élevée peuvent être dangereux en cas de choc et doivent être placés dans des cages de protection. Une conception avec des matériaux souples permettrait de renforcer la sécurité intrinsèque des robots. D’autre part, l’approche traditionnelle « rigide » est très performante dans un espace de travail complètement dégagé. Mais si il faut entrer en contact avec l’environnement, prendre appui, saisir, se faufiler… alors une rigidité absolue devient un handicap.
L’inspiration venue de la nature
Comme souvent en robotique, la conception des robots déformables s’inspire de la nature : les robots humanoïdes s’inspirent évidemment des humains, il existe de nombreuses versions de robots-chiens (rigides), mais aussi des robots inspirés de plantes. Ainsi des chercheurs de l’Université de Clemson, pionniers dans le domaine, ont cherché à reproduire la dextérité du mouvement d’une trompe d’éléphant avec un système robotisé fait de tendons et de ressorts. L’entreprise allemande FESTO, dans d’autres travaux, a créé une trompe artificielle en utilisant la fabrication additive et de l’air comprimé. Ces projets visent à montrer qu’on peut reproduire une partie de la très grande dextérité des éléphants avec leur trompe. Ces bras robotisés peuvent effectuer des tâches complexes, notamment quand il y a des obstacles dans l’environnement direct du robot.
Mais d’autres créatures invertébrées, comme les poulpes sont une autre source d’inspiration. En robotique sous-marine, ces animaux sont un modèle – ils sont capable de se camoufler, de passer à travers de petites ouvertures mais aussi de s’agripper, saisir et manipuler des objets.
D’autres chercheurs s’intéressent aussi aux chenilles, aux vers et même aux plantes ! L’objectif est d’extraire les principes de fonctionnement (se déplacer, se faufiler, attraper…) pour les appliquer aux robots.
Pour quelles applications ?
Si les chercheurs et les ingénieurs s’inspirent de la nature, ils ont des applications bien précises en tête. Pour l’industrie, la soft robotics a déjà créé des dispositifs pour saisir les objets. La conception de préhenseurs souples permet d’éviter d’abîmer les produits et d’être plus tolérant aux différences géométriques, pour attraper des fruits de différent calibres, par exemples. On peut citer le Versabll d’Empire Robotics ou le préhenseur de l’entreprise nommée justement Soft Robotics.
Un autre domaine très actif sur ce sujet est la robotique chirurgicale. Ici les robots souples peuvent naviguer dans les vaisseaux ou aider à se faufiler dans l’abdomen et interagir en toute sécurité, en adaptant leur rigidité en fonction des organes et de la procédure chirurgicale. Par exemple, en s’inspirant de pieuvres, des chercheurs ont conçu un robot qui peut rester à l’état mou, pour un contact sans danger avec les structures anatomiques, et peut raidir certains de ses segments si nécessaire, pour accomplir des tâches chirurgicales spécifiques. Le changement de rigidité est obtenu grâce à la mécanique granulaire.
Enfin, on voit naître des projets autour de l’aide aux personnes à mobilité réduite : une cabine de douche robotisée pour pouvoir gagner en autonomie, des orthèses ou morceaux d’exosquelettes souples qui viennent assister le mouvement de certaines articulations comme la cheville ou encore des dispositifs pour faciliter le transfert d’une personne d’un lit à l’autre.
Le défi de la modélisation et du contrôle
Le principal obstacle à l’émergence de cette robotique souple est que les méthodes actuelles de design et contrôle ne fonctionnent pas pour le déformable. En robotique souple, le robot se déforme pour bouger. Il faut pouvoir analyser un nombre de possibilités de mouvement infiniment plus important que pour un robot rigide, c’est cela le challenge !
Dans mon équipe DEFROST, nous proposons des approches différentes de modélisation mécanique des robots, pour par exemple tenir compte du comportement des matériaux souples utilisés pour fabriquer le robot. Nous développons aussi des algorithmes spéciaux, avec des temps de calcul suffisamment courts pour finir ces calculs complexes avant que le robot n’ait besoin de bouger.
Une caractéristique importante des robots souples est qu’ils utilisent les contacts : ils se faufilent dans leur environnement, ils sont capables de mieux saisir des objets. Dans le cas des orthèses, ils sont en contact direct avec la peau du patient. Alors qu’en robotique rigide on travaille plutôt en évitement de collision, ici on cherche justement à s’appuyer sur l’environnement.
Des méthodes spécifiques sont donc nécessaires pour commander les robots souples. Nous avons d’abord proposé des approches « commande en boucle ouverte » : on considère le modèle numérique du robot comme parfait et on pilote le vrai robot sans tenir compte des perturbations du monde réel, par exemple si les câbles qui déforment le robot s’allongent et se déforment eux aussi, ou si une personne s’appuie et déforme le bras du robot pendant qu’il exécute une tâche. Puis nous avons utilisé différents capteurs pour corriger la commande du robot et la rendre plus robuste (« commande en boucle fermée » qui corrige les positions du robot par rapport au modèle) et même prévu de la replanification, par exemple pour que le robot essaye de passer le long de l’obstacle en se faufilant.
Dernièrement, nous avons aussi montré que le modèle permet de fusionner différentes informations issues de capteurs pour, à la fois corriger la commande mais aussi pour apporter des informations supplémentaires, comme la mesure d’une force qui s’applique sur le robot.
La perception des robots, la clef de leur évolution ?
Si l’on pousse plus loin l’imitation des êtres vivants, la perception qu’ont les robots de leur corps et de leur environnement est très importante. En les équipant de capteurs, on acquiert des informations sur les déformations du robot ou sur certains obstacles – un peu comme les nerfs.
Par ailleurs, on travaille avec des matériaux actifs qui se déforment sous l’effet d’un potentiel électrique ou d’un champ magnétique, un peu comme les muscles. L’objectif est de permettre un contrôle plus local dans le corps du robot pour faciliter l’adaptation à l’environnement.
En s’appuyant sur ces fondations, on pourra s’adresser à la véritable question qu’est l’autonomie. Là, le chantier est très ouvert : si on définit les tâches sur un robot souple comme on les définit sur un robot rigide, on ne va pas profiter de ses capacités à se faufiler, à s’appuyer, à venir épouser l’environnement. Comment faire ?
Christian Duriez, Directeur de recherche Inria, équipe Defrost en co-tutelle Université de Lille, CNRS, IMT, Centrale Lille, Inria
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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