Le spatial n’est pas du tout un sujet apolitique. Si sa relative absence pendant la campagne présidentielle américaine pouvait laisser croire qu’il y avait un certain consensus entre les deux candidats, Donald Trump et Joe Biden avaient pourtant des vues très opposées. La victoire du candidat démocrate annonce peut-être quelques changements dans l’organisation du secteur aux États-Unis et donc par extension, au niveau mondial au vu du poids de la Nasa à l’international.
L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche ne signifie pas un revirement total des programmes en cours. Artémis vers la Lune ou encore l’exploration martienne ne devraient pas être remis en cause, mais le nouveau président a des vues bien différentes de son prédécesseur à propos d’une question beaucoup plus clivante : le climat.
Dans sa feuille de route publiée au début de la campagne, il ne laissait que de brefs indices sur sa politique spatiale (un sujet qui ne semble pas le passionner plus que cela), mais insistait sur sa volonté d’investir dans les domaines scientifiques et technologiques liés à l’environnement. Pour bon nombre de chercheurs, ce serait une très bonne nouvelle. « Nous sommes soulagés de tourner cette page politique, assure à Numerama Debra Fischer, astronome à l’Université de Yale. Nous pouvons enfin concentrer à nouveau nos efforts sur la lutte contre le changement climatique. » La chercheuse est également leader d’un groupe baptisé « Astronomers for Planet Earth » qui milite pour concentrer les efforts de la recherche sur l’aspect environnemental.
« La Nasa a joué un rôle clé dans les mesures concernant le climat sur Terre au niveau global, précise-t-elle. Plusieurs satellites ont été fermés sous l’administration Trump et j’espère que ces missions reviendront. »
La crainte des coupes de budget
Un constat partagé par la revue Science, qui alertait en septembre 2018 sur les grosses coupes de budget décidées par le président sur les missions climatiques. Parmi les plus emblématiques, CLARREO Pathfinder. Ce dispositif est censé être rattaché à la Station Spatiale Internationale pour aider à calibrer l’ensemble des satellites qui observent la Terre, ce qui doit permettre de lever certaines incertitudes sur les mesures prises par les différents instruments. Un processus capital pour les sciences du climat où une grande partie de la science repose sur la fiabilité des mesures et les comparaisons qui peuvent être faites. Au final, le budget de CLARREO avait été sauvé in extremis par le Congrès, mais comme les équipes restaient dans le flou sur ce qui allait être fait, cela les a empêchés de voir à long terme. Or, il s’agit d’une mission prévue pour des décennies d’observations.
L’avenir de CLARREO et des autres programmes « verts » de la Nasa devrait désormais être plus sécurisé avec un président disposé à mettre des billets dans ces thématiques. Ce serait une très bonne nouvelle pour le principal partenaire, la France. « C’est enfin un retour vers une coopération multilatérale, salue Laurence Monnoyer-Smith, conseillère environnement et climat au CNES (Centre national d’études spatiales). Rien n’était vraiment arrêté sous Trump avec la Nasa, mais maintenant, on peut espérer un engagement plus important sur de nombreux dossiers. »
Ce que l’agence spatiale française attend avant tout, c’est le retour d’une plus forte coopération autour de SWOT. La mission franco-américaine baptisée Surface Water and Ocean Topography doit être lancée dans quelques mois, en avril 2021 selon les dernières nouvelles. Il s’agit d’un satellite doté d’un altimètre qui doit surveiller les hauteurs d’eau sur les fleuves, les lacs et les océans. Avec une précision jamais atteinte aujourd’hui, il doit mesurer les variations temporelles des stocks d’eau, mais aussi permettre d’affiner les modèles autour des prévisions climatiques. C’est un projet en cours depuis une dizaine d’années, mené conjointement par la Nasa et le CNES. Les deux agences avaient déclaré à l’époque vouloir allier leurs forces pour mieux comprendre les océans et leur évolution au fil du temps.
Une Nasa qui jouerait davantage collectif
Au-delà des missions prévues, si Joe Biden a promis que les États-Unis reviendraient dans l’Accord de Paris, cela pourrait aussi vouloir dire une arrivée de la Nasa dans l’observatoire spatial du climat. Cette initiative française mise en place par le CNES en 2018 regroupe plus d’une vingtaine d’agences spatiales à travers le monde, mais les États-Unis brillent par leur absence. « En tant que gros producteurs de gaz à effet de serre, les Américains ont un rôle important à jouer dans ce collectif, considère Laurence Monnoyer-Smith. Ils sont essentiels à la mise en place de mesures au niveau mondial. »
Le but de cet observatoire est justement avant tout de regrouper toutes les données récoltées depuis l’espace liées au changement climatique. Il peut s’agir du niveau des mers, de la quantité de gaz à effet de serre ou encore de l’état de la banquise. Autant de questions qui sont parfois traitées par les différentes agences de leur côté et qu’il convient d’harmoniser pour fournir des données plus solides sur le temps long.
La Nasa sous Biden pourrait donc être plus vertueuse avec une part plus importante du budget dédiée à l’observation de la Terre. Au détriment de l’exploration spatiale ? Pas forcément selon Debra Fischer : « La Nasa peut faire les deux, c’est une fausse dichotomie ». Laurence Monnoyer-Smith partage le même avis : « De toute façon, les budgets pour les grosses missions d’exploration vers la Lune ou Mars sont arrêtés pour les années qui viennent, donc il ne faut pas s’attendre à du changement à moyen terme. Même si la question pourra se poser plus tard ».
Le programme spatial de Joe Biden pourrait contraster avec celui de son prédécesseur marqué par de très (voire trop) grandes ambitions pour planter des drapeaux américains un petit peu partout à travers le Système solaire. Un programme plus terre à terre, quitte à moins faire rêver le grand public avide d’étoiles et de nouveaux territoires à explorer ? « Le vrai rêve, affirme Laurence Monnoyer-Smith, c’est d’avoir une technologie spatiale au service du climat. C’est quelque chose de beaucoup plus proche que Mars et c’est aussi une source d’inspiration. Quand les astronautes vont dans l’espace, la première chose qu’ils voient c’est la Terre et sa fragilité. Ils en reviennent avec un sentiment fort et c’est aussi cette prise de conscience que nous devons transmettre. »
C’est donc un nouveau défi à relever pour la Nasa, alors qu’en pleine crise climatique, le scénario d’une chevauchée fantastique vers d’autres mondes n’a plus le même attrait.
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