La culture d’organes in vitro, en laboratoire, est devenue essentielle pour la médecine. Les chercheurs peuvent travailler sur des modèles analogues de nos organes, pour mieux les comprendre, mieux agir dessus in vivo. Parmi ces « organoïdes », dans le secteur des neurosciences, on retrouve des cerveaux. Ou plus précisément, des « mini-cerveaux ». Mais ils ne sont pas comme celui des humains, car ils ne sont pas conscients. Du moins, pour l’instant. Durant un important symposium, tenu le 21 octobre 2019, une équipe de chercheurs du Green Neuroscience Laboratory de San Diego a tiré la sonnette d’alarme sur un « besoin urgent d’identifier des méthodes et critères » pour conduire ces recherches selon des règles éthiques.
Cette technique scientifique ayant le vent en poupe, la culture cellulaire de mini-cerveaux connaît des avancées fulgurantes et toujours plus surprenantes. Aujourd’hui, il est possible de recréer en laboratoire un réseau neuronal tridimensionnel complexe, proche des animaux sensibles et des êtres humains. En mars 2019, des scientifiques ont réussi à cultiver un petit cerveau qui s’est spontanément connecté à une colonne vertébrale. Encore plus récemment, en août 2019, un autre petit cerveau a émis des ondes cérébrales similaires à celles d’un cerveau humain in vivo — une activité électrique similaire à celle que l’on retrouverait chez un nourrisson prématuré.
Un nouveau défi éthique ?
Toutes ces avancées dans la culture d’organoïdes sont évidemment impressionnantes et offrent toujours plus de ressources pour faire avancer la médecine (par exemple concernant les maladies neurodégénératives). Mais ce sont bien ces progrès rapides qui inquiètent les chercheurs de San Diego : l’activité physiologique des mini-cerveaux se rapproche de manière « critique » de ce que l’on retrouve dans des formes de vie sensibles. Ainsi, on serait « dangereusement proche de dépasser le Rubicon éthique, si ce n’est pas déjà fait ».
Les mini-cerveaux pourraient être sensibles, selon eux, puisqu’ils présentent des similarités isomorphiques avec la structure et l’activité des cerveaux humains. Dans une étude produite par une équipe d’Harvard, un petit cerveau cultivé en laboratoire a développé un réseau neuronal complexe, des tissus cérébraux variés… et des cellules rétiniennes pouvant répondre à la lumière. L’idée qu’un organoïde puisse un jour éventuellement réagir également à la douleur n’est pas loin, selon Elan Ohayon, l’un des chercheurs du laboratoire de San Diego. Il affirme au Guardian que « nous ne voulons pas faire des recherches là où quelque chose pourrait en souffrir ».
La solution, pour Ohayon et ses collègues, est de mettre en place une procédure d’évaluation de la sensibilité des mini-cerveaux avant de procéder à la moindre expérience. Ils appellent donc à créer un cadre éthique qui n’existe pas encore. À l’heure actuelle, ces mini-cerveaux ne sont pas considérés comme vivants. L’équipe de chercheurs estime qu’il faudrait mieux définir les contours de la conscience et de la sensibilité pour éviter toute dérive. Même s’ils précisent qu’un mini-cerveau pleinement conscient et sensible n’est pas prêt, a priori, de voir le jour, il faut justement se prémunir de franchir un tel stade dans l’expérimentation.
Relevons qu’ils ne sont pas seuls, dans la communauté scientifique, à poser cette problématique. C’est une inquiétude qui infuse de plus en plus les chercheurs. En avril 2018, dans le journal Nature, 17 neuroscientifiques appelaient à un débat éthique sérieux sur ce type d’expériences. Il y a seulement quelques jours, le 3 octobre 2019, des neuroscientifiques de l’université de Pennsylvanie élevaient aussi la voix pour la mise en place d’un cadre éthique à la transplantation de mini-cerveaux dans des animaux.
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