Un « soleil artificiel » reproduit les réactions au cœur des étoiles : la fusion nucléaire. Le réacteur WEST, basé en France, est resté allumé pendant 6 minutes à 50 millions de degrés.

C’est la promesse d’une énergie décarbonée et quasi illimitée. À l’échelle du siècle, nombre de scientifiques misent sur la fusion nucléaire. Pour y parvenir, il faut créer un « soleil artificiel », ce qui consiste à reproduire, en laboratoire, les réactions physiques ayant lieu au cœur des étoiles. L’une de ces installations, basée en France, vient de battre un record.

Dans le sud de la France, et lors d’un test effectué lors de ce printemps 2024, le réacteur WEST est resté allumé à 50 millions de degrés pendant exactement 6 minutes, a-t-on appris le 6 mai. Un « résultat spectaculaire » selon Rémi Dumond, chef de l’Institut dédié à la fusion par confinement magnétique au CEA. Tout ça dans un donut — un appareil plus scientifiquement appelé « tokamak ».

Comment fonctionne un tokamak ?

Les tokamaks sont décrits comme des donuts, car ces réacteurs prennent la forme d’un anneau. Et pour cause, le plasma dense et chaud qui y est créé est si chaud qu’il ne doit jamais toucher les parois. Pour ce faire, des bobines magnétiques viennent créer une « cage virtuelle » qui fait circuler le plasma tout au long de cet anneau.

L'intérieur d'un tokamak est une chambre à vide, où la réaction de fusion aura lieu.  // Source : CEA
L’intérieur d’un tokamak est une chambre à vide, où la réaction de fusion aura lieu. // Source : CEA

Pour créer la réaction de fusion en elle-même, on insère quelques grammes de deux isotopes de l’hydrogène, du deutérium et du tritium. Lorsqu’ils sont chauffés à très haute température, ces deux atomes vont se rencontrer, fusionner et provoquer la création d’un noyau lourd d’hélium. C’est ainsi que l’on obtient un plasma — un nouvel état de la matière — extrêmement chaud, et très dense.

Rien ne peut s’échapper de cette cage magnétique, le plasma reste confiné. Rien, ou presque : les neutrons ne sont pas « chargés », alors les bobines magnétiques ne peuvent pas les retenir. Les neutrons percutent les parois à très haute vitesse. Et c’est une bonne nouvelle : grâce à eux, et à des parois construites pour cela, on peut récupérer cette part importante de l’énergie produite par la réaction de fusion. Il s’agit principalement de transformer la chaleur accumulée en vapeur, afin d’alimenter des turbines et produire ainsi de l’électricité.

Le problème, c’est que ce processus contient tellement d’étapes, tellement de prérequis et de composants, qu’il n’est pas simple à obtenir… et encore moins à maintenir dans le temps. Deux difficultés se posent : la température et la durée.

Pourquoi 6 minutes, c’est énorme

Le plus gros projet de réacteur à fusion nucléaire du monde est ITER, situé lui aussi au sud de la France, avec un budget estimé à 19 milliards d’euros. Encore en construction, et programmé pour la décennie 2030, il devra monter à 150 millions de degrés et parvenir à s’auto-entretenir. C’est-à-dire, générer plus d’énergie qu’on lui en insère afin que le réacteur se maintienne lui-même dans le temps et qu’il soit rentable énergétiquement. D’ici sa première réaction de fusion, la plupart des réacteurs actuels du même genre, plus petits, continuent d’expérimenter afin de résoudre peu à peu les problèmes physiques du procédé.

Le soleil artificiel à proprement parlé est enfermé dans un cryostat, cage froide, et le plasma est confiné ensuite dans la chambre à vide. // Source : CEA (image de mars 2020)
Le soleil artificiel à proprement parler est enfermé dans un cryostat, cage froide, et le plasma est confiné ensuite dans la chambre à vide. // Source : CEA (image de mars 2020)

Ce n’est pas la première fois qu’un réacteur à fusion nucléaire atteint 50 millions de degrés. En Corée, le tokamak est monté à 100 millions de degrés en 2023, mais pendant 30 secondes puis, en 2024, durant 48 secondes. Les 6 minutes obtenues par WEST constituent donc une étape importante pour que l’on sache maintenir du plasma très chaud dans le temps.

Les équipes de WEST essayent notamment de résoudre la question des parois, qui doivent tout à la fois supporter la fournaise générée par le plasma, mais aussi permettre de récupérer l’énergie via le flux de neutrons. Initialement, les tokamaks utilisaient des murs en carbone, mais ces derniers absorbaient le tritium utilisé (l’un des deux isotopes utilisés comme « carburant »). Depuis une décennie, les ingénieurs de WEST testent du tungstène, qui n’a pas ce défaut, en plus de bien résister à la chaleur.

« C’est la différence entre essayer d’attraper votre chaton à la maison et essayer de caresser un lion sauvage. »

Le réacteur ITER utilisera ce même matériau. Il s’agit toutefois de le comprendre au mieux d’ici là, car il complique aussi d’autres aspects logistiques : « L’environnement des parois en tungstène est beaucoup plus difficile que l’utilisation du carbone », indique l’un des ingénieurs du projet, Lius Delgado-Aparicio, dans le communiqué. « C’est la différence entre essayer d’attraper votre chaton à la maison et essayer de caresser un lion sauvage. »

Ni WEST ni ITER n’allumeront vos ampoules. Ce sont des réacteurs expérimentaux. Mais ils doivent justement ouvrir la voie aux premières installations dites commerciales, c’est-à-dire utilisables pour générer réellement de l’électricité pour des industries et des habitations. Le premier tokamak a été imaginé dans les années 1940 et il ne faut pas imaginer que l’un d’eux sera véritablement actif et utilisable avant les années 2050. En voilà, un projet à très long terme.

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