Le 6 décembre dernier a été voté à l’Assemblée Nationale un texte visant à taxer les revenus publicitaires de « toute personne établie en France qui met à disposition du public un service offrant l’accès à titre onéreux ou gratuit à des œuvres ou documents cinématographiques ou audiovisuels sur demande individuelle formulée par un procédé de communication électronique« . Dans la ligne de mire du gouvernement entre donc Dailymotion, dont 2 % des revenus seraient taxés au titre de cet amendement.
Pourtant, ce texte a été adopté en toute discrétion et ce n’est que cinq jours plus tard que les parties concernées réagissent, par la voix de l’ASIC, la nouvelle Association des Services Internet Communautaires qui défend les intérêts de ses membres :
« Nous ne pouvons admettre l’adoption d’une telle taxation qui remettrait en
cause la gratuité de la diffusion d’information et de partage des contenus
réalisés par les internautes. S’il est naturel de réfléchir à de nouveaux modes
de financement de l’industrie culturelle, l’adoption d’une taxation des créations
des internautes semble particulièrement inadaptée » entonnent d’une même voix Pierre kosiuzco-Morizet et Giuseppe de Martino, co-fondateurs de l’association.
S’il est peut être exagéré d’annoncer le péril des services vidéo pour une taxe sur les revenus réduite à 2 %, la critique n’en est pas moins justifiée car elle soulève de nombreuses questions.
Quels sont les sites visés ? La taxe induirait un régime spécifique pour certains portails, et pas pour d’autres. Si elle s’applique sans doute pour tout portail entièrement consacré à la vidéo, comment s’envisagerait-elle pour un site diffusant des vidéos occasionnellement, à l’instar de Ratiatum, dont ce n’est pas l’objet principal ? Autant dire qu’il sera impossible de faire la distinction entre revenus publicitaires liés aux vidéos, et le reste. Devrait-on taxer les recettes complètes du site, ou se prêter à des comptabilités extrêmement complexes et forcémment injustes ?
Quelle légitimité ? La taxe transposerait un modèle de taxation conçu pour le cinéma, de la TV aux plateformes de VOD, ce qui n’est pas forcément justifié. En effet, les chaînes de TV subissent une limite physique dans le nombre de programmes diffusées chaque jour : le temps. Elles ne peuvent pas diffuser plus de 24 H de programme par jour en continu. Elles favorisent donc les programmes « grand public » les plus vendeurs, au détriment des contenus les plus confidentiels qui ne sont jamais diffusés et donc jamais financés, une situation défavorable à la création et au cinéma d’art et d’essai. Pour compenser ce déséquilibre et limiter l’impact de la culture pop-corn, l’Etat a donc introduit une taxe sur les revenus publicitaires des diffuseurs TV, dont une partie bénéficie au soutien financier de l’industrie cinématrographique et de l’industrie audiovisuelle. Il s’agit des subventions accordées par le CNC (Centre National de la Cinématographie) aux projets qu’il souhaite soutenir et qui n’auraient pas trouvé leur place dans une économie de marché non subventionnée.
Or, sur Internet, tout le monde a sa chance. Les créations diffusées sur Dailymotion ne se substituent pas aux autres pour des questions de rentabilisation du temps d’audience alloué. Elles s’additionnent. Cette taxe, qui trouvait sa justification dans la compensation d’un déséquilibre à l’échelle audiovisuelle, ne se justifie plus sur les plateformes de partage de vidéo.
Quelle réalité économique ? Transposer la taxe des chaînes de télévision aux plateformes internet manifeste une grande incompréhension de ce qu’est internet : un réseau international. Un internaute chinois qui diffuse sur Dailymotion une vidéo en chinois qui sera vue par des chinois génère pour Dailymotion des revenus publicitaires, sans doute générés par des annonceurs chinois. Doit-on, sous prétexte que Dailymotion a son siège social en France, taxer les chinois pour financer la création française, alors même que la diffusion du contenu chinois ne se fait pas au détriment de la diffusion des contenus français (ce qui est le cas des films américains diffusés à la télévision au détriment des films français) ?
Au nom de l’exception culturelle, la production audiovisuelle française est largement financée grâce aux taxes diverses : des billets de salle de cinéma à la redevance TV, en passant par les abonnements, la vente de vidéogrammes, etc. La VOD payante, en plein essor, n’y a pas échappée et est déjà taxée au titre du COSIP. Mais lorsque l’on parle de plateformes de partage de contenus essentiellement amateurs, la question devient nettement plus problématique. Les amateurs doivent-ils indirectement financer les professionnels ?
La taxation des diffusions vidéos avait sa justification dans l’économie traditionnelle de la distribution des œuvres. Mais avec la dématérialisation et la désintermédiation des créations, à l’ère du web 2.0, il semble extrêmement difficile de pérenniser ce système sans tomber très vite dans un système injuste et parfois absurde.
Pourtant, le financement de la création est sans doute une question fondamentale pour la protection de la culture française. La question du mode de financement et de l’assiette des taxes doit être posée. Mais c’est justement parce qu’elle nécessite un vaste débat et une remise à plat qu’il est inadmissible qu’elle fut tranchée par un amendement déposé dans une extrême discrétion coupable.
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