Pour la première fois depuis ses débuts granuleux et tremblants sur la première PlayStation, Silent Hill quitte les États-Unis pour projeter son ambiance glauque et pesante sur le Japon, plus précisément la petite ville d’Ebisugaoka dans les années 1960. Enfoncées au cœur d’une vallée brumeuse et grisâtre, ses petites maisons en bois typiques s’agrippent au flanc d’une montagne tapissée d’une épaisse forêt.
Le centre-ville est un dédale étroit et étouffant qui finit par laisser place à des rizières boueuses où les seuls signes de vie sont de terrifiantes silhouettes d’épouvantails se dessinant dans le brouillard. Ce brouillard si emblématique de la série qui, encore une fois, flotte en d’épaisses volutes qui rongent les décors et nous emmitouflent dans un inconnu angoissant où le moindre grincement fait craindre le surgissement de quelque abomination prête à se jeter sur nous pour nous éventrer. C’est Silent Hill f, chapitre 100 % inédit.
Points forts
- Un cadre à l’atmosphère haletante
- Direction artistique mémorable
- Un bon rythme
Points faibles
- Beaucoup trop premier degré
- Des combats pas dingues
- Des séquences presque hors de propos
Silent Hill f, la face trashée du Japon
Avec un tel cadre, des souvenirs de Forbidden Siren et Project Zero défilent devant nos yeux, mais Silent Hill f affirme rapidement sa singularité grâce à sa formidable direction artistique qui s’impose dès les premières minutes. Le paisible village se trouve en effet peu à peu envahi de protubérances végétales rougeâtres évoquant autant de répugnants viscères que de délicates veinules d’où éclosent des milliers de fleurs pourpres, roses et rouges. La rouille et la crasse qui jadis transformaient les décors de Silent Hill en un purgatoire visuel propice au tétanos font donc place à cette gangrène organique et végétale qui crée des paysages aussi angoissants qu’étrangement poétiques. Porté par le moteur Unreal Engine, le jeu assure le spectacle et profite notamment d’une gestion des lumières remarquable qui permet de poser des atmosphères variées et toujours saisissantes. Silent Hill f tisse ainsi son esthétique oxymorique où l’abjection et la répugnance deviennent source d’un émerveillement malsain.

Cette étrange sensation est renforcée par le regard de celle que l’on incarne, Hinako, une jeune lycéenne timide et mal dans sa peau qui va voir son monde basculer dans une indicible horreur. Voir cette frêle silhouette affronter ces corps désarticulés, ces formes abjectes composées d’organes et de membres coagulés entre eux, instille en nous un puissant sentiment de fragilité qui rend les combats au corps-à-corps encore plus terribles. Silent Hill f essaie d’ailleurs de leur donner plus de profondeur qu’à l’accoutumée grâce au désormais combo tarte à la crème esquive/parade et jauge d’endurance. Même s’ils s’avèrent effectivement un peu plus intéressants (heureusement, car il n’y a aucune arme à feu dans le jeu), ce regain d’action et de nervosité crée une sérieuse dissonance avec les capacités physiques de notre adolescente, tout en faisant perdre à ces séquences une partie de leur intérêt : nous intimider. Par moment, ces affrontements prennent même d’étonnants atours (dont je me garderai bien de vous dévoiler précisément la teneur) qui servent, certes, le récit du jeu, mais le font basculer dans des séquences frôlant d’un peu trop près l’absurde dans un tel contexte.

La brume compte pas pour des prunes
Bien qu’il se soit radicalement éloigné de la mythique et sacro-sainte ville de Silent Hill, cet épisode s’arrime de prime abord très bien à sa série de tutelle. Outre ce vicieux brouillard, on y retrouve ce goût pour les décors labyrinthiques, ces portes fermées et ces plans qui se gribouillent au fil de notre exploration, ces énigmes (un peu trop simples, hélas) à base de codes ou d’écussons bizarres, et surtout cette constante bascule entre un monde réel plutôt irréel et un monde irréel un peu trop réel. Le jeu reste toutefois bigrement linéaire et assume une durée de vie assez brève (à peine 9h) pour créer une aventure au rythme bien maîtrisé. Silent Hill f a surtout compris la dimension psychologique lancinante de la série et trimbale la pauvre Hinako dans des séquences torturées et tortueuses à souhait, dont certaines resteront sans doute longtemps gravées dans votre mémoire. En revanche, le jeu oublie un détail très important, capital même : la subtilité.
On n’est pas passé loin d’avoir un très bel épisode de Silent Hill
Les Silent Hill (tout du moins, les bons épisodes de la série) puisent habituellement leurs forces dans l’intelligence de leurs métaphores et la finesse des allégories qu’ils manient pour créer un récit aussi brumeux que leurs décors. Une partie de l’intérêt de ces aventures réside en effet dans l’interprétation que l’on sera capable de faire de ce que l’on voit et vit, de ce que l’on y projette. Or, la trame de Silent Hill f semble écrite au marqueur noir surligné de Stabylo jaune fluo. Les situations mises en scènes sont souvent assez limpides, directes, et quand le jeu se risque à des incartades beaucoup plus abstraites, il ne nous laisse jamais dans le flou bien longtemps. Hinako consigne en effet tout ce qu’elle vit dans un journal qui se remplit peu à peu et explique absolument tout ce qu’il y a à savoir sur le jeu. Cette béquille narrative vient ainsi dissiper les zones d’ombre dans lesquelles Silent Hill a pourtant toujours prospéré. C’est littéralement le service après-vente interprétatif du jeu qui va même jusqu’à décrire précisément chaque ennemi pour nous expliquer ce qu’ils sont et comprendre la métaphore qu’ils sont censés incarner.

Et si cela ne suffit pas, vous pouvez compter sur Hinako pour se fendre par moment d’un petit soliloque servant à décrypter un événement qu’elle est en train de vivre. Constamment, on a l’impression d’avoir des narrative designers qui se penchent vers nous et nous crient dans les oreilles : « C’est bon ? Vous avez compris ?! » Pour une série qui a bâti sa réputation sur le mystère, on frise le contre-sens. On sent en fait le jeu tiraillé entre la volonté d’être fidèle à l’ADN de sa série d’origine et l’espoir d’aller chercher un nouveau public avec un système de combat plus familier, des énigmes simplistes (même en mode Difficile) pour éviter de frustrer et un propos asséné avec une franchise presque brutale. C’est d’autant plus dommage que les thèmes qui sous-tendent cet épisode sont classiques, mais intéressants et même audacieux. Ils permettent notamment à Hinako de se révéler en héroïne bien plus complexe et surprenante qu’on ne pourrait l’imaginer au départ. Oui, on n’est pas passé loin d’avoir un très bel épisode de Silent Hill.
Le verdict

Silent Hill f
Voir la ficheOn a aimé
- Un cadre à l’atmosphère haletante
- Direction artistique mémorable
- Un bon rythme
On a moins aimé
- Beaucoup trop premier degré
- Des combats pas dingues
- Des séquences presque hors de propos
Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

Toute l'actu tech en un clin d'œil
Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !
Pour ne rien manquer de l’actualité, suivez Numerama sur Google !