Trottinettes et vélos électriques, aspirateur sans fil, consoles de jeux… Sur Google Shopping, de nombreuses offres alléchantes sont en réalité des arnaques, qui cachent des sites frauduleux. Des escrocs ont pu profiter gratuitement des services de Google pour obtenir de la publicité pour leurs offres mensongères.

Les bons plans sur Google Shopping sont parfois trop beaux pour être vrais. Le service sort tout juste d’une vaste polémique — en novembre dernier, la décision de justice condamnant Google à payer une amende de 2,4 milliards d’euros pour le punir d’avoir favorisé son comparateur en ligne, au détriment de ses concurrents, a été confirmée. Mais il semble que la firme de Mountain View ait encore un problème de taille à régler à ce niveau : la présence d’offres frauduleuses sur Google Shopping. En 2020, afin d’aider les commerces à affronter la pandémie, le groupe Google avait pris la décision louable de leur laisser un accès gratuit à certaines options de ce service. Mais il semble que cette initiative ait rendu Google Shopping plus vulnérable aux arnaques.

En tapant la requête « vélo électrique » dans l’onglet Google Shopping, un site attirait ainsi l’attention, jusqu’il y a quelques jours, avec des tarifs alléchants et un bon classement : best-bikes-markets.com. Sur la page d’accueil, une bannière publicitaire donne la couleur, annonçant « d’énormes réductions », pour des soldes d’été. Jusqu’ici rien de rédhibitoire ; si ce n’est que nous sommes en novembre.

Plusieurs produits du site Best Bikes Markets étaient très bien référencés sur Google Shopping. // Source : Capture d'écran Numerama

Plusieurs produits du site Best Bikes Markets étaient très bien référencés sur Google Shopping.

Source : Capture d'écran Numerama

Plusieurs autres détails interrogent. Le site est récent : sa date de création remonte seulement au mois de septembre. Plus gênant, à l’adresse postale indiquée, aucune société à ce nom n’existe sur les différents sites recensant les entreprises. Sur Google Map, plusieurs photos montrent l’intérieur de la boutique, ainsi que sa devanture. Celle-ci n’est pourtant pas visible avec Streetview, et une recherche par image inversée montre que l’image d’origine, retouchée par l’escroc, provient d’un site en portugais de graphisme de vitrines de magasins. Numerama a tenté de contacter le site. Personne n’a répondu à nos appels téléphoniques.

Des photos récupérées sur d'autres sites ont été rajoutées sur Google Map. // Source : Capture d'écran Numerama

Des photos récupérées sur d'autres sites ont été rajoutées sur Google Map.

Source : Capture d'écran Numerama

Sur le site participatif Signal Arnaques, plusieurs commentaires témoignent d’une escroquerie, avec un fonctionnement toujours identique : « Je crois que je suis une victime, j’ai commandé pour 610 € le 25/10 et depuis pas de nouvelles, de plus lors du paiement ils ont tenté de faire un retrait …puis j’ai fait un virement ». Comme indiqué par un autre témoignage sur Signal Arnaque, les conditions générales d’utilisations du site sont un copier-coller de celles du site Bikester, un vendeur allemand, lui réel. Seules les coordonnées ont été changées, mais le capital de la société est identique à l’euro près.

Vélo électriques, robot pâtissier, consoles de jeux : les escrocs se diversifient

Best Bikes Markets serait-il un simple accident, passé à travers la surveillance de Google ? Pas vraiment, car il ne s’agit pas du seul site frauduleux à vendre des vélos électriques et à avoir profité des services de Google Shopping, en voyant ses produits régulièrement proposés en tête des classements.

C’est aussi le cas de bshstores.com. Sur sa page d’accueil, la société se présente comme spécialisée dans l’électroménager. Elle vend pourtant aussi des meubles, des consoles de jeu, et donc des vélos électriques, bien qu’aucun onglet n’existe pour ces derniers.

Le site BSH Store prétend vendre des consoles PS5. // Source : Capture d'écran Numerama

Le site BSH Store prétend vendre des consoles PS5.

Source : Capture d'écran Numerama

Créé le 16 septembre dernier, le site emprunte son nom et son adresse postale à la société BSH Group, qui existe elle depuis… 1992, et est spécialisée dans la vente d’électroménager aux professionnels. Le numéro de téléphone indiqué sur le site BSH Store possède un indicatif en 04, alors que l’adresse est en Île-de-France. Là encore, plusieurs signalements ont été effectués sur Signal Arnaques mais aussi sur Scamdoc. Et là encore, lorsque Numerama a tenté de joindre BSH Store, il s’est avéré impossible d’avoir quelqu’un au bout du fil.

Comme BSH Store, beaucoup des sites frauduleux référencés sur Google Shopping proposent d’autres produits. D’autres arnaqueurs préfèrent se spécialiser dans des marchés de niche, comme rhodes-equipements-speciaux.fr.

Rhodes Equipements Speciaux présentait les mêmes publicités qu'un autre site frauduleux, Argamiel Distribution. // Source : Capture d'écran Numerama

Rhodes Equipements Speciaux présentait les mêmes publicités qu'un autre site frauduleux, Argamiel Distribution.

Source : Capture d'écran Numerama

Aujourd’hui plus en ligne (une version archivée du site est disponible ici), ce marchand de bennes et remorques présentait des similitudes troublantes avec argamiel-distribution.fr, le site d’arnaque aux vélos électriques déjà révélé par Numerama dans une précédente enquête. Apparence similaire, même numéro de Siret indiqué en haut de la page… L’escroc avait dans un premier temps oublié de changer la bannière publicitaire, identique à celle d’argamiel-distribution.fr, avant de mettre à jour son site. Et de faire plusieurs victimes, d’après les témoignages en ligne sur Signal Arnaques et Scamdoc.

Une dizaine de sites frauduleux référencés gratuitement sur Google Shopping

Avec quelques-unes de ces recherches génériques sur différents produits très populaires auprès des consommateurs (consoles, vélos et trottinettes électriques, aspirateur sans fil, robot pâtissier…), nous avons repéré une dizaine de sites frauduleux, tous présents sur la première page des requêtes de Google Shopping classées par pertinence.

« Nous prenons très au sérieux les pratiques commerciales malhonnêtes et les considérons comme une violation flagrante de notre règlement. Lorsque les publicités ou les fiches produit ne sont pas conformes, nous prenons des mesures pour les supprimer  », indique un porte-parole de Google, contacté par Numerama. Tous les sites signalés à l’entreprise ont en effet depuis été retirés de la plateforme, pour pratiques commerciales inacceptables.

Un classement qui dépend largement des informations fournies par le vendeur

Mais comment autant de sites frauduleux peuvent-ils se retrouver aussi bien classés par Google Shopping ? Un début de réponse est peut-être à trouver dans un changement de fonctionnement de la plateforme.

Il faut en effet distinguer deux service différents réunis dans l’onglet :

  • les annonces payantes : le service classique où les marchands paient pour la publicité
  • les fiches produits sans frais : un service gratuit mis en place en 2020, pour aider les commerçants dans le cadre de la pandémie de Covid-19.

Comme confirmé par Google à Numerama, tous les sites frauduleux signalés utilisaient le service gratuit plutôt qu’une campagne publicitaire.

Pour ces malfaiteurs, utiliser Google Shopping est donc un moyen pratique pour bénéficier d’une publicité sans frais et gagner en crédibilité auprès du consommateur. Seul un d’entre eux, Best Bikes Markets, possède une page Facebook, et celle-ci est inactive, sans abonné ni publicité.

La page Facebook de Best Bikes Markets n'a aucune activité. // Source : Capture d'écran Numerama

La page Facebook de Best Bikes Markets n'a aucune activité.

Source : Capture d'écran Numerama

Selon Google, deux paramètres interviennent dans le classement des fiches produit sans frais : la pertinence du produit par rapport à la requête, et la qualité des données fournies (photo, description, prix…). Ce sont donc les informations fournies par le marchand qui influencent son référencement. Or tous les sites frauduleux repérés affichent des descriptions détaillées des produits et des photos de qualité, probablement récupérées chez des vendeurs légitimes. Une offre alléchante fait le reste pour attirer le client, même si un prix bas n’a pas d’effet sur le classement d’après Google.

Baisse de prix, objet populaire : des techniques pour se démarquer

Certains vendeurs ont également pu utiliser d’autres caractéristiques de Google Shopping, comme l’annotation « baisse de prix ». C’est le cas d’e-electrofizz.com, qui prétend vendre à 278 € une référence de trottinette électrique, au lieu de 488 €.

Grâce à une baisse de prix, Electro Fizz bénéficie d'une annotation qui peut attirer des clients. // Source : Capture d'écran Numerama

Grâce à une baisse de prix, Electro Fizz bénéficie d'une annotation qui peut attirer des clients.

Source : Capture d'écran Numerama

Créé en août 2021, Electro Fizz est censé être spécialisé dans l’électroménager, mais n’a même pas d’onglet spécifique pour les trottinettes qu’il affiche. L’adresse postale est en réalité celle de Fizz, une entreprise de métallurgie. Des témoignages sur Signal Arnaques comme sur Scamdoc évoquent des livraisons jamais effectuées (et nos tentatives pour joindre les personnes tenant ce site n’ont jamais abouties). Electro Fizz a utilisé cette technique pour une fiche produit d’un vélo électrique.

Une baisse de prix quelque peu suspecte. // Source : Capture d'écran Numerama

Une baisse de prix quelque peu suspecte.

Source : Capture d'écran Numerama

Selon Google, ces annotations n’ont aucun impact sur le classement. Leur effet visuel peut cependant à lui seul bénéficier au vendeur, d’autant plus qu’elle est facile à obtenir. L’obtention de la bannière verte repose en effet seulement sur les informations de prix fournies par le marchand.

Les escrocs peuvent aussi utiliser une autre annotation, celle de la popularité. En voyant cette trottinette électrique Xiaomi affublée de la bannière jaune « populaire », un acheteur pourrait ainsi penser que le site indiqué en-dessous du produit, Ceta Market, a été utilisé par de nombreux consommateurs.

L'annotation de popularité ne concerne que le produit référencé, pas le vendeur. // Source : Capture d'écran Numerama

L'annotation de popularité ne concerne que le produit référencé, pas le vendeur.

Source : Capture d'écran Numerama

Ce n’est pourtant pas ce que veut dire cette annotation, explique Google. Elle ne concerne en effet que les vues ou les clics sur la référence du produit lui-même, et pas la popularité du marchand.

Et pour cause. Après quelques recherches, le site Ceta Market n’incite pas à la confiance. Si une société à ce nom existe, elle est enregistrée comme boucherie et alimentation générale. L’adresse postale indiquée sur le site a en réalité changé depuis 2019, et le numéro de téléphone n’est plus attribué. De nombreux articles du site sont rédigés en lorem ipsum, du « faux texte » latin qui ne sert normalement qu’à calibrer une mise en page.

Des conditions de vente qui n'invitent pas à la confiance. // Source : Capture d'écran Numerama.

Des conditions de vente qui n'invitent pas à la confiance.

Source : Capture d'écran Numerama.

Là encore, la bannière populaire n’impacte pas le référencement, d’après Google. Mais l’effet sur le consommateur est réel, laissant penser que cette transaction en particulier est populaire et bien notée. En récupérant les références de produits en vogue, un escroc peut facilement se retrouver à bénéficier de l’annotation populaire, tout en étant considéré comme pertinent vis-à-vis des requêtes des consommateurs.

Avec un système aussi dépendant des informations des vendeurs, la qualité des contrôles réalisés par Google est  donc essentielle pour empêcher les arnaques. Des vérifications proactives sont bien effectuées en amont par Google, indique l’entreprise, avec un système automatisé et mis à jour en fonction des fraudes détectées. Si des signalements sont effectués par les acheteurs, c’est un humain qui prend le relais. Mais ce fonctionnement n’empêche visiblement pas de nombreux escrocs de passer entre les mailles du filet, et de transformer un service gratuit, mis en place pour aider les annonceurs, en piège pour les consommateurs.

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