Les bracelets anti-rapprochement, dont la pose peut être ordonnée en cas de violences conjugales, vont bientôt rentrer dans l’arsenal législatif de toutes les juridictions de France. Numerama fait le point.

C’est une nouveauté en France. Les bracelets anti-rapprochement peuvent être demandés depuis le 24 septembre dans 5 juridictions françaises (Aix-en-Provence, Angoulême, Bobigny, Douai, Pontoise), et seront disponibles sur tout le territoire français au 31 décembre 2020. Le dispositif, prévu pour assurer la sécurité des victimes dans les affaires de violences conjugales, a fait ses preuves depuis presque 10 ans en Espagne. La mise en place de ce dispositif fait suite à la proposition de loi du député LR Aurélien Pradié, votée en décembre en 2019.

De quoi s’agit-il ? Comment en demander un ? Comment la géolocalisation est-elle encadrée? Numerama fait le point sur toutes les questions autour de ces bracelets et de leur modalité d’application.

Que sont les bracelets anti-rapprochement ?

Concrètement, les bracelets anti-rapprochement sont installés sur les chevilles des auteurs des violences. Ils serviront à les géolocaliser en temps réel, 24 h sur 24, 7 jours sur 7. « Ils sont composés d’une sangle raccordée à un émetteur, dont la batterie est autonome pendant plus de 6 mois. Le terminal contient quant à lui la technologie GPS, qui doit être rechargée toutes les 48h », explique Emmanuelle Masson, la porte-parole du ministère de la Justice. « Le bracelet est extrêmement solide et résistant à l’eau », indique-t-elle. De plus, la sangle contient une fibre optique. « Si elle est endommagée, une alerte est déclenchée ».

Comment fonctionnent-ils ?

Ce sont les juges qui peuvent décider du port d’un tel bracelet, que ce soit une procédure civile ou pénale. C’est également à eux de décider la distance d’alerte à respecter : elle ne peut pas être inférieure à 1 km, et ne peut pas être supérieure à 10 km. Une distance de préalerte est également mise en place, fixée au double de la distance d’alerte : si la distance d’alerte est de 2,5 km, la distance de préalerte sera de 5 km. La géolocalisation des porteurs est surveillée 24 h/24 et 7 jours sur 7 par un service de téléopérateurs, qui peuvent à tout moment les joindre grâce à un boîtier — qui ressemble à un téléphone — qu’ils doivent avoir sur eux en permanence. Au cas où un porteur franchit la distance de préalerte, il sera contacté par ce service de télésurveillance qui lui intimera de faire demi-tour. Si ça n’est pas fait et que la distance d’alerte est franchie, ou bien que le porteur ne répond pas aux appels du service de télésurveillance, les forces de l’ordre seront prévenues. Les opérateurs leur transmettront alors la géolocalisation du porteur, afin qu’il soit appréhendé. Ils contacteront également le ou la victime des violences, également équipée d’un boîtier géolocalisé, et l’aideront à se mettre à l’abri en attendant l’intervention des forces de l’ordre.

Le boîtier de la victime permet également d’envoyer une demande d’intervention urgente via un bouton « SOS », de contacter le service de téléassistance 24 h/24, d’envoyer des SMS préenregistrés et d’être ainsi rappelée en cas de besoin urgent. Ce boîtier est remis aux personnes protégées par des associations d’aide aux victimes agréées, qui auront au préalable été briefées sur le dispositif. C’est le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui s’occupe de la pose du bracelet anti rapprochement.

Pendant combien de temps le bracelet peut-il être porté ?

La durée de port du bracelet dépend de la procédure, mais dans tous les cas, la pose du bracelet sera assortie d’une interdiction de rapprochement. Si c’est une procédure civile, la durée initiale est limitée à six mois, et « peut être renouvelée au-delà lorsqu’une demande en divorce ou relative à la garde des enfants est introduite », indique le ministère de la Justice.

Si c’est une procédure pénale, « la durée initiale de la mesure est de 6 mois et sa durée totale ne peut excéder deux ans ».

Comment la pose d’un bracelet est-elle décidée ?

C’est au juge de décider de la pose d’un bracelet. Il faut donc qu’il y ait une procédure judiciaire engagée, que ce soit au civil ou au pénal. « Il faut qu’il y ait des faits suffisamment graves », explique l’avocate Céline Duplessis, qui représente une victime de violences conjugales dont l’ex-compagnon devra porter un bracelet anti-rapprochement. « Il faut qu’il y ait des récidives ou un vrai risque pour la personne » afin que le juge demande la pose d’un bracelet, précise-t-elle. Dans le cas de sa cliente, il y avait déjà eu des violences et un schéma de harcèlement instauré. « Si on le laissait libre, il était susceptible de réitérer les faits ». Elle indique également que les résultats des examens psychologiques subis par l’ex-compagnon violent sont rentrés en ligne de compte. La décision du juge doit également prendre en compte « le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée, familiale et professionnelle du porteur du bracelet », est-il précisé sur le site du Service Public. « [Le juge] doit également veiller à ce que la mise en œuvre de la mesure n’entrave pas son insertion sociale, en tenant notamment compte de la localisation des domiciles et lieux de travail et des modes de déplacements respectifs ».

Il faut dans tous les cas que l’auteur des violences consente à la pose de du bracelet.

Que se passe-t-il si les auteurs des violences refusent d’accepter de porter le bracelet ?

« Le bracelet peut, dans le cadre pénal, être ordonné sans obtenir le consentement préalable de l’intéressé. En revanche, on ne peut pas l’installer de force, contre le gré de la personne », indique Emmanuelle Masson. Cependant, « si la personne refuse la pose, cela constituera une violation de la mesure ». Le décret d’application du 24 septembre précise que « le fait de la refuser constitue une violation de ses obligations pouvant donner lieu à la révocation de son contrôle judiciaire et à son placement en détention provisoire ». Il y a donc des incitations à accepter.

Est-ce un dispositif très demandé ?

Il reste difficile d’avoir un retour précis, les bracelets étant disponibles seulement depuis quelques mois et dans seulement quelques juridictions. Pour l’instant, la pose de bracelets a été prononcée 3 fois — deux sont d’ores et déjà portés, et la troisième personne concernée installera le sien quand elle aura fini sa peine de prison.
En tout, 1 000 bracelets anti rapprochement seront disponibles au 31 décembre 2020. À terme, si les demandes sont importantes, de nouveaux bracelets seront commandés.

Bracelet anti rapprochement // Source : Vimeo / MaCommune.info

Bracelet anti rapprochement

Source : Vimeo / MaCommune.info

Qui gère le centre de téléassistance ?

Les policiers ne s’occupent pas directement de la ligne d’écoute : elle est entièrement gérée par le service de téléassistance d’Allianz. L’entreprise, qui a été choisie par l’État, s’occupe déjà du centre de téléassistance pour les porteuses du Téléphone grave danger, un autre dispositif de protection pour les victimes de violences conjugales. Le centre de téléassistance fonctionne 24 h sur 24, 7 jours sur 7, et a pour mission d’assister les forces de l’ordre dans l’interpellation du conjoint violent. Les employés du centre connaissent ainsi sa géolocalisation, et peuvent la partager avec les forces de l’ordre — seulement si la personne présente un danger. Le centre doit aussi aider à distance les victimes des violences, en les aidant entre autres à se mettre à l’abri. Pour l’instant, aucun appel n’a dû être passé pour demander au porteur du bracelet de rebrousser chemin.

En termes de droit, comment la géolocalisation d’une personne peut-elle être envisagée ?

C’est la loi du 28 décembre 2019 pour agir contre les violences au sein de la famille qui encadre l’utilisation de ces données, ainsi qu’un décret d’application, paru le 24 septembre 2020. Les données biométriques et certaines informations du porteur du bracelet peuvent être enregistrées, et les positions GPS du bracelet anti-rapprochement sont relevées à intervalles réguliers.

Du côté de la personne protégée, ses coordonnées personnelles, comme son adresse, son numéro de téléphone, ainsi que les noms et adresses des personnes de la famille seront également enregistrés. Sa position GPS sera également transmise à intervalles réguliers.

Est-ce que les données de géolocalisation sont protégées ?

Les données des deux parties seront protégées, assure Emmanuelle Masson, et elles ne seront en aucun cas transmises à des parties tierces.  « Les données seront protégées par chiffrement. Les protections sont très fortes, parce qu’on sait que des fuites pourraient être très dangereuses ». Les informations et données personnelles collectées seront « seulement exploitées en cas d’enquête judiciaire », précise Emmanuelle Masson.

Interrogée sur le sujet, la CNIL a cependant émis quelques réserves. Dans un délibéré publié le 16 juillet 2020, la commission estime que l’un des risques les plus graves du dispositif est qu’il puisse être « détourné par la personne porteuse de bracelet pour déduire le positionnement de la victime et attenter à sa sûreté ». La CNIL précise cependant que c’est un risque qui a bien été pris en compte par le ministère, et que des mesures sont « prévues pour contenir ce risque ».

bracelet anti rapprochement // Source : Ministère de la Justice

bracelet anti rapprochement

Source : Ministère de la Justice

Un autre point sur lequel la CNIL attire l’attention du ministère est le fait que « les victimes puissent détourner le système et créer des risques pour les personnes porteuses du bracelet », en cherchant notamment à se venger et « en les empêchant, par exemple, de rentrer chez elle ou d’aller travailler, en se rendant physiquement à proximité de ces zones ». Le risque serait cependant en grande partie pris en compte par le ministère, et « traité indirectement par les mesures prévues ».

Enfin, la commission a relevé le fait que les données de personnes mineures pourraient être enregistrées par les autorités, notamment si une personne de son entourage est soit protégée, soit porteuse d’un bracelet anti rapprochement. La CNIL estime ainsi que « des mesures particulières devraient être mises en œuvre par le ministère », notamment afin de s’assurer que ces données fassent l’objet « de garanties appropriées ».

Que pensent les victimes du dispositif ?

Étant donné que les premières poses de bracelet n’ont eu lieu que récemment, il est encore difficile de faire un bilan complet et d’estimer leur succès. Cependant, « on sait que la vertu première de ce dispositif, c’est que les gens ne l’oublient pas », relève Emmanuelle Masson. « C’est très préventif comme mesure. En Espagne, où le dispositif est disponible depuis 8 ans, aucune femme qui était porteuse n’a été tuée ».

Du côté des victimes, il semblerait aussi que le bracelet rassure. « C’est une vraie avancée », explique Maitre Duplessis. « Avant, même si l’auteur était condamné, dès qu’il sortait, les victimes étaient démunies. Même avec un Téléphone grave danger, il fallait qu’elles aient le temps d’appuyer sur le bouton et que les forces de l’ordre arrivent assez tôt pour intervenir. Là, avec le bracelet, elles savent que si jamais le porteur approche la distance d’alerte, elles auront le temps de se mettre à l’abri et de se protéger. C’est quelque chose de rassurant, et elles ne sont pas en train de se demander à chaque fois ‘est-ce qu’il est devant ma porte ?’ C’est une mesure qui va pouvoir leur permettre de retrouver leur liberté ».

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