Coup de tonnerre dans le ciel judiciaire américain : une cour d’appel a déclaré que le programme de surveillance de masse mis en place par la NSA au niveau des écoutes téléphoniques aux USA était illégal, et peut-être même inconstitutionnel. Et surtout, il n’est pas démontré qu’il a pu servir à arrêter le moindre complot terroriste. Les responsables du programme ont menti.

Sept ans. Il aura fallu sept ans à un tribunal américain pour se prononcer sur la licéité de la surveillance téléphonique globale mise en place par l’Agence nationale de la sécurité (NSA), et dont l’existence a été rendue publique par Edward Snowden en 2013 en alertant la presse. Et la conclusion rendue par la cour d’appel fédérale du neuvième circuit, à San Francisco, ne laisse aucune place au doute : la collecte indistincte par la NSA des relevés d’appels des Américains était illégale.

L’annonce du verdict a été immédiatement saluée par le principal intéressé, Edward Snowden, qui est aujourd’hui réfugié en Russie. « Je n’aurais jamais imaginé que je vivrais assez longtemps pour voir nos tribunaux condamner les activités de la NSA comme étant illégales et dans le même jugement me créditer pour les avoir exposées », a-t-il écrit le 2 septembre sur Twitter.  « Et pourtant, ce jour est arrivé.»

Aucune preuve de son utilité face au terrorisme

Plus terribles encore sont les observations de la cour, rapportées par Business Insider.

Pour la justice américaine, la surveillance téléphonique qui a concerné en secret des millions d’Américains sur des années n’a même pas été décisive dans la lutte contre le terrorisme. Un seul exemple concret d’une attaque que ces relevés téléphoniques auraient  permis de déjouer a été présenté par la NSA, alors même qu’elle répétait que ces écoutes avaient contribué à contrecarrer diverses attaques terroristes.

Sauf que ces enregistrements téléphoniques illégalement collectés n’ont pas joué un rôle central dans l’affaire, dont le New Yorker a consacré en 2015 une longue enquête, indique le tribunal, d’autres éléments ayant servi. En d’autres termes, la cour d’appel considère qu’aucune preuve ne lui a été présentée pour pouvoir dire que le programme de la NSA a pu mettre fin à des attaques terroristes.

Le journaliste à l’origine de l’article du New Yorker, Mattathias Schwartz, note d’ailleurs les responsables de la NSA ont initialement affirmé que cette surveillance avait permis de mettre fin à 13 complots terroristes aux États-Unis — un nombre qui a été ramené à un seul [celui finalement présenté par la NSA, NDLR], concernant un certain Basaaly Moalin, un Américain d’origine somalienne qui a été condamné pour avoir envoyé 8 500 dollars à al-Chabab, une milice extrémiste somalienne liée à Al-Qaïda.

armée américaine

Des soldats américains embarquant pour rejoindre Djibouti, en début d'année, pour renforcer la présence militaire des USA après une attaque terroriste d'al-Chabab.

Source : Daniel Hernandez

Le nom du mouvement al-Chabab est cité dans divers attentats en Somalie mais aussi au Kenya, comme l’attaque du centre commercial Westgate, en 2013, qui a fait des dizaines de morts parmi les civils. La mouvance est aussi responsable de l’enlèvement de deux agents de la DGSE en 2009, dont l’un parviendra à s’enfuir. Le second a fait l’objet d’une tentative de libération en 2013 par le service action de la DGSE, aidé par les forces spéciales de l’armée, mais sans succès.

« En regardant de près la décision d’aujourd’hui, il semble que le nombre exact d’affaires de terrorisme américain stoppées par ce programme est, selon la cour, non pas un mais zéro », commente Mattathias Schwartz. Et d’ajouter que « nous devons rester sceptiques quant aux affirmations du pouvoir exécutif concernant ce que les informations classifiées montrent et ne montrent pas.»

Quelles suites pour Edward Snowden ?

Réagissant au verdict, la puissante Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) estime que cet arrêt « est une victoire pour notre droit à la vie privée ». Il « démolit les plus anciens moyens de défense de la surveillance de masse », ajoute Edward Snowden. La justice a jugé « le programme illégal et inefficace, établissant que les affirmations publiques du gouvernement sur la ‘nécessité’ étaient trompeuses ».

Et comme estocade, la cour d’appel n’a pas simplement relevé le caractère illégal du programme mis en place par la NSA. Elle a aussi évoqué la possibilité qu’il était peut-être aussi inconstitutionnel au regard du quatrième amendement de la Constitution des États-Unis, qui empêche les perquisitions et saisies non motivées et requiert, pour toute perquisition, un mandat et une justification crédible.

« Une victoire pour notre droit à la vie privée »

Il reste à savoir quel sera l’effet de ce verdict très important aux États-Unis sur le sort du principal intéressé, à savoir Edward Snowden. Inculpé d’espionnage et de vol de biens gouvernementaux, l’ex-informaticien de la CIA et de la NSA a toujours exprimé le souhait de rentrer aux USA et estimé avoir agi en tant que lanceur d’alerte — et non pas de traitre, comme cela lui a été reproché au sein de la classe politique américaine.

L’actuel locataire de la Maison-Blanche, Donald Trump, a lui aussi été très dur à l’égard d’Edward Snowden. « Ne vous y trompez pas, il n’est pas un héros. C’est un lâche qui devrait rentrer et faire face à la justice », a-t-il notamment lâché sur les réseaux sociaux. De nombreux tweets de sa part ont révélé une franche hostilité du président à son égard. Mais cet été, une inflexion inattendue de sa part pourrait peut-être faire bouger les lignes et permettre à Edward Snowden de regagner les USA.

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