Deux lycées de la région PACA vont expérimenter un dispositif d’authentification par reconnaissance faciale début 2019. Certains parlent d’un effet d’annonce, d’autres entrevoient déjà un scénario catastrophe. Voici comment le dispositif devrait fonctionner, et qui sera concerné.

Deux établissements français, le lycée Ampère de Marseille et Les Eucalyptus à Nice, vont accueillir un dispositif expérimental de reconnaissance faciale pour l’accès à leur établissement. Annoncé officiellement en 2018, le projet sera mis en place début 2019. Beaucoup s’inquiètent des dérives sécuritaires, même dans le cadre limité de cette expérience.

Un dispositif sur la base du « volontariat total »

Deux classes par lycée seront concernées par le dispositif. Et parmi ces élèves, seuls les volontaires — avec l’accord de leurs parents pour les mineurs — participeront à l’expérimentation. Les différentes parties contactées n’ont pas pu nous indiquer quelles classes seraient concernées, mais le projet initial devait permettre une intervention pédagogique des professeurs sur ces technologies.

« C’est sur la base du volontariat total. Les élèves et leurs parents décident s’ils veulent donner leur photographie », relève Didier Giaufer, élu FCPE au conseil d’administration Des Eucalyptus, contacté par Numerama. Il précise que l’équipe pédagogique et les élus parents d’élèves ont été avertis dès juin 2017, à l’occasion d’un conseil d’administration, mais très sommairement. Si les syndicats de parents d’élèves n’ont été à aucun moment invités dans les concertations, ils ont tout de même obtenu des réponses sur leurs principales inquiétudes. C’est le bailleur, et donc la région PACA, qui décide de la mise en place de ses caméras, avec l’accord de l’Académie et des deux chefs d’établissement qui se sont portés volontaires.

Comment cela va-t-il se passer ?

Le lycée proposera une file d’attente distincte pour les élèves volontaires, de sorte à ce que leurs camarades ne soient pas filmés sans consentement. Les participants enregistreront leur profil biométrique, qui sera retranscris sur un badge. La forme de celui-ci, QR code sur smartphone ou badge physique, n’est pas clairement communiquée.

Ensuite, le lycéen valide son badge à une borne lorsqu’il entre, et les caméras confirment que le profil enregistré correspond à celui à l’image. Mais elles ne devraient pas conserver de données, et seulement opérer localement. Les lycéens garderont la main sur les gabarits faciaux enregistrés dans leur support individuel, et Cisco ne devrait pas y avoir accès. Également, dans cette expérience, les caméras ne devraient se déclencher qu’après présentation du badge, de sorte à limiter les risques de filmer une personne non-consentante.

Le lycée Les Eucalyptus aura une file dédiée pour les lycéen qui participent à l'expérimentation. // Source : Capture Google Maps le 17/12/2018

Le lycée Les Eucalyptus aura une file dédiée pour les lycéen qui participent à l'expérimentation.

Source : Capture Google Maps le 17/12/2018

Le dispositif a pour objectif d’« apporter une assistance aux agents assurant l’accueil du lycée afin de faciliter et réduire la durée des contrôles, lutter contre l’usurpation d’identité et détecter le déplacement non souhaité d’un visiteur non identifié », a expliqué la région à notre consœur de BFM TV. Il y aura toujours un surveillant dans la boucle, qui recevra des informations sous forme de code couleur sur son smartphone. En vert, les individus bien identifiés. En rouge, les individus qui n’ont pas badgés, pourront être identifiés par le surveillant qui pourra leur demander de justifier leur présence. Également, ce dispositif ne devrait pas s’accompagner de construction de portique, puisque ce serait contraire à son objectif de fluidité.

La CNIL n’a pas donné de « feu vert »

La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a accompagné Cisco et la région dans l’élaboration de leur projet. Elle n’a donc pas eu de « feu vert » ou d’autorisation à donner, puisqu’il ne s’agit pas de son champ de compétence, elle n’a fait que donner un avis. À partir de cet avis, ce sont le conseil d’État et le gouvernement qui décident. Pour la Commission, cette expérience doit servir à « évaluer la valeur ajoutée d’un contrôle d’accès par comparaison faciale à l’entrée d’un lycée », nous explique-t-elle dans un communiqué par mail.

Les contrôles de carnets de correspondance ont été systématisés dans les lycées du PACA, et peuvent créer des problèmes de circulation à l’entrée des cours. Au micro de Sud Radio, Philippe Vincent, proviseur d’un lycée marseillais, développe la problématique : « Pour le faire de temps en temps le matin pour mes 2 400 étudiants et lycéens, je ne suis pas toujours bien sûr que le lycéen qui me présente sa carte soit le même que sur le document ! » Ce système de badge leur permettrait donc de fluidifier l’entrée des élèves.

Contrairement aux portiques de certaines stations de métro, par exemple à Paris, ce système ne devrait pas avoir de barrière. // Source : Wikipédia

Contrairement aux portiques de certaines stations de métro, par exemple à Paris, ce système ne devrait pas avoir de barrière.

Source : Wikipédia

La CNIL a surtout insisté lourdement sur le consentement des lycéens qui participeront à l’expérience, et indique qu’elle effectue en ce moment une analyse d’impact sur la protection des données. On aura donc l’assurance que le système respecte a minima le RGPD. Derrière cette loi, les lycéens garderont théoriquement dans tous les cas un droit d’accès, de modification, de rectification et de suppression de leurs données personnelles.

Christian Estrosi, inconditionnel de la reconnaissance faciale

Si le dispositif a autant fait parler, et inquiète tant, c’est surtout car il s’inscrit dans une multiplication des usages de la reconnaissance faciale à Nice et en PACA. Plus globalement, Christian Estrosi (LR), maire Nice, et Renaud Muselier (LR), président du conseil régional, ne cachent pas leur affection pour ce genre de dispositifs sécuritaires.

Christian Estrosi fait part depuis plusieurs années de son attrait pour les technologies de reconnaissance faciale, qui font écho à sa ligne sécuritaire. Il expérimente depuis juin la présence d’un policier non armé dans les écoles, et veut l’étendre à tous les établissements qui le souhaitent dès janvier 2019. Il a également testé une application sécuritaire, Reporty, qualifiée de « délation généralisée » par l’opposition. Radio Camargue rappelle ce climat d’escalade des dispositifs de sécurité, ainsi que la déclaration du maire de Nice au conseil municipal au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo : « Avec 999 caméras, et une caméra pour 343 habitants, je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipée du même réseau que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé 3 carrefours sans être neutralisés et interpellés. »

Si le dispositif de reconnaissance faciale dans les lycées n’est qu’à un stade expérimental, il vise un déploiement plus large à terme — c’est d’ailleurs ce qui inquiète les détracteurs de cette mesure, qui envisagent qu’un tel dispositif devienne, dans le futur, obligatoire. Les travaux devraient commencer pendant les vacances scolaires, et les débuts de l’expérience se feront au début de l’année prochaine.


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