Quinze jours après l'adoption de l'amendement qui instaure en France une censure des moteurs de recherche sur simple instruction policière, sans contrôle d'un juge, les géants du web ont enfin réagi. Mais on ne sent pas une très forte indignation…

Le silence de Google nous avait surpris. Alors que le moteur de recherche investit d'importantes sommes en lobbying, et sait être parfaitement organisé pour réagir lorsqu'une loi menace son indépendance, la firme de Mountain View n'avait pas pipé mot sur la manoeuvre de Bernard Cazeneuve aboutissant à confier des pouvoirs de censure à la police. 

Au prix d'un mensonge devant les sénateurs, le ministre de l'intérieur a fait adopter le 16 octobre un amendement au projet de loi anti-terrorisme qui offre à son ministère le pouvoir d'ordonner la censure des moteurs de recherche sans aucun contrôle judiciaire. Il suffit que dans sa grande sagesse l'Etat décide qu'un site est coupable de "propagande terroriste" pour que non seulement il ne soit plus accessible par les internautes, du fait du blocage ordonné aux FAI, mais qu'en plus l'existence-même de ce site soit tue sur Google et les autres moteurs de recherche ou annuaires. A aucun moment un juge n'a à vérifier le bien-fondé de l'accusation et la proportionnalité de l'ordonnance de censure.

C'est exactement pour ce type de censures arbitraires que Google avait décidé de quitter la Chine.

Finalement, il aura fallu attendre mercredi, c'est-à-dire après le dernier débat qui pouvait encore modifier le texte, pour que les géants du web se réveillent enfin sur cet amendement adopté il y a déjà deux semaines.

Google n'a pas réagi en son nom, mais à travers un communiqué de l'Association des services internet communautaires (l'ASIC). Celle-ci regroupe notamment Google, Facebook, Yahoo, Microsoft, Dailymotion, eBay, Exalead ou encore Skyrock. Mais le communiqué reste sobre, par rapport à ce qu'a pu produire l'ASIC par le passé.

L'improbable contrôle constitutionnel

Si elle regrette que le dispositif est créé "sans qu’une définition précise et circonstanciée ne soit inscrite dans la loi", l'Asic exprime simplement "ses inquiétudes", et non son indignation, "quant à l’extension grandissante des pouvoirs offerts aux services de police et aux services de renseignements en matière de contrôle des contenus et des comportements sur internet sans supervision de l’autorité judiciaire".

Elle appelle courtoisement à un contrôle par le conseil constitutionnel, ce qu'elle sait fortement improbable. La loi de programmation militaire qui créait de nouveaux pouvoirs de collecte de données par l'Etat n'avait pas été soumise aux sages. La précédente loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2) avait été validée après une saisine très imparfaite par le Parti Socialiste, lequel avait aussi "oublié" de saisir le Conseil Constitutionnel sur la partie de la loi ARJEL qui confiait le pouvoir de censurer des moteurs de recherche après décision judiciaire. Depuis des années, gauche et droite s'entendent pour que sur les textes sécuritaires, soit il n'y ait pas de saisine, soit pour que celle-ci soit pipée.

"Au cours des prochains mois, le Gouvernement publiera les décrets d’application de ces lois portant une atteinte sans précédent, aux libertés. L’ASIC sera vigilante à ce que ceux-ci fassent l’objet d’un contrôle de leur légalité par le Conseil d’Etat et puissent être soumis à l’examen du Conseil constitutionnel par l’intermédiaire de la procédure de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC)", ajoute l'ASIC. 

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