Peut-on combattre la désinformation en associant journalistes et internautes pour produire de l’actualité ? C’est ce que semble penser Jimmy Wales : le cofondateur de Wikipédia a en effet dans les cartons un tout nouveau projet — baptisé Wikitribune — qui consiste à rémunérer des journalistes à travers une campagne de financement participatif, tout en impliquant une armée de bénévoles.
Comment le projet est censé fonctionner ?
« Les articles sont signés, sourcés et vérifiés par des journalistes professionnels ainsi que par des membres de la communauté qui travaillent sur un même pied d’égalité et côte-à-côte », lit-on sur le site. « Les articles ne sont pas soutenus principalement par des annonceurs mais par des lecteurs qui se préoccupent suffisamment du journalisme de qualité pour devenir des supporters mensuels ».
Dans l’esprit de Jimmy Wales, le journaliste est loin d’être infaillible. S’il est peut-être spécialisé dans une thématique particulière, il n’est pas en mesure de tout connaître. Il peut faire une faute d’orthographe au cours de l’écriture, manquer un aspect important du sujet, se tromper dans la lecture de statistiques ou oublier un lien sourçant telle ou telle partie de son sujet.
D’où l’idée de s’ouvrir à la société civile pour bénéficier d’apports extérieurs : au lieu d’être seul, le journaliste pourrait s’appuyer sur un lanceur d’alerte, sur un maître Capello en herbe, sur un internaute vérifiant les faits, un autre chargé de les trouver et un dernier qui se contente d’apporter un soutien financier. Les généreux donateurs pourraient même avoir un droit de regard sur la ligne éditoriale.
« Ceux qui donnent deviendront des supporters et en retour ils auront le droit de dire quels sont les sujets et les récits sur lesquels le site doit se concentrer », selon le Guardian. Pour l’heure, WikiTribune s’adresse à un lectorat anglophone, avec des sujets liés à la politique américaine ou britannique. Des sujets plus variés sont aussi attendus, dans le domaine des sciences et de la technologie par exemple.
En somme, WikiTribune est une version évoluée de Wikinews. Cette plateforme, qui est un projet frère de Wikipédia, permet à chacun de participer au façonnement de l’actualité en rédigeant des articles de presse. Pour éviter de raconter n’importe quoi, il est demandé au contributeur de respecter des règles, à commencer par la citation des sources et le respect d’un point de vue neutre.
Un recrutement de 10 journalistes pour commencer
À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun journaliste n’a encore été embauché par WikiTribune, qui compte à terme avoir une rédaction de dix personnes. En revanche, les supporters affluent déjà : le compteur indique que 483 internautes ont d’ores et déjà ouvert leur porte-monnaie pour soutenir l’initiative. Que les visiteurs se rassurent : le site Wikitribune sera gratuit.
Il faudra toutefois faire preuve de patience avant de voir les premiers articles apparaître : en effet, WikiTribune doit officiellement démarrer ces activités dans un mois. Néanmoins, le site est déjà accessible, d’une part pour expliquer le projet et se laisser le temps de boucler les recrutements de journalistes, et d’autre part pour que la campagne de financement participatif bénéficie d’assez de temps pour avoir une jolie cagnotte.
Égalité et transparence
Selon Jimmy Wales, le projet peut être résumé ainsi : « les actualités par le peuple et pour le peuple ». « Ce sera la première fois que des journalistes professionnels et des journalistes citoyens vont travailler côte-à-côte en égaux pour écrire des actualités à mesure qu’elles se produisent, en les éditant en direct à mesure qu’elles se développent, en étant toujours soutenues par une communauté vérifiant et revérifiant chaque fait ».
Pour assurer un maximum de transparence, il est aussi prévu de partager les éléments bruts en possession des journalistes, notamment le verbatim intégral des entretiens qu’ils sont amenés à faire dans le cadre de reportages par exemple, afin d’avoir tout le contexte de l’interview et la manière dont les questions ont été posées et non pas quelques citations glissées ici et là dans un article.
En théorie, l’idée de Jimmy Wales est séduisante car elle est inclusive et participative. Mais en pratique, il reste à voir comment les internautes vont interagir entre eux et avec les journalistes pour produire et faire évoluer un sujet. Si certains articles ne souffriront aucunement de la moindre guerre d’édition, on peut légitimement craindre que des papiers, notamment politiques, offriront beaucoup plus de prises pour de jolies foires d’empoigne.
Un papier sur l’élection présidentielle pourrait par exemple voir s’affronter les partisans de Jean-Luc Mélenchon, les soutiens de Marine Le Pen et les sympathisants de François Asselineau, trois candidats pour lesquels leurs militants se mobilisent très fortement sur le web pour faire triompher leur point de vue. L’exigence des faits que Jimmy Wales entend promouvoir avec WikiTribune risque d’en pâtir.
Il suffit pour s’en convaincre de regarder Wikipédia : malgré sa construction sur le temps long — un article à vocation encyclopédique n’est pas le même qu’un article de presse, il a le temps de se structurer sur des semaines, des mois voire des années –, il existe des tas de pages qui sont semi-verrouillées pour empêcher des internautes non identifiés et peu fiables commettre des actes de vandalisme.
Avec un projet comme WikiTribune, où de fait les sujets sont traités sur le temps court (c’est le principe de l’actualité), il paraît beaucoup plus délicat d’aboutir à un consensus dans un délai relativement bref. Et il n’est pas certain que la barrière monétaire (10, 40, 120 euros ou montant libre) suffise à filtrer tous les trolls et les militants. Certains pourraient vouloir coûte que coûte glisser leur point de vue dans les articles.
Les actualités par le peuple et pour le peuple
Malgré ces risques, Jimmy Wales reste confiant. « Si vous jetez un œil à Wikipédia, c’est un endroit bruyant et loin d’être parfait mais pour les vraies fausses nouvelles, il n’y a presque aucun impact sur la communauté Wikipédia », estime-t-il. « Les volontaires sont assez expérimentés pour savoir que c’est une bêtise et ont l’éthique de dire : ‘non, nous sommes ici pour des faits neutres’ : cette communauté le sait dans son ensemble ».
Reste à savoir si cette expérience et cette éthique peuvent être transposées sur WikiTribune. Réponse dans un mois.
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