Une conférence organisée en ligne devait inclure plusieurs participantes. Or, ces femmes n’existent pas. Elles ont été inventées avec une IA. C’est le sujet de la newsletter #Règle30 de la semaine.

Cet article est extrait de la newsletter #Règle30, qui est envoyée tous les mercredis à 11h. 

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Gergely Orosz écrit l’une des newsletters les plus populaires du secteur des nouvelles technologies, The Pragmatic Engineer. Il est donc le genre de personnes à être souvent courtisées pour donner des discours à des conférences. La semaine dernière, il a remarqué quelque chose d’étrange dans une de ces invitations. L’évènement en question, DevTernity, faisait état de plusieurs participantes, mais le programme officiel ne comportait aucune prise de parole de leur part. Pire, l’une de ces invitées n’existait tout simplement… pas. Sa photo de profil était générée par IA ; son expérience professionnelle était fausse. 

En fouillant un peu, Gergely Orosz a réalisé que ce n’était pas la première fois que la conférence recourait à des femmes fictives. « Beaucoup de grands noms de la tech refusent désormais de participer à des évènements s’il n’y a que des hommes au programme« , explique l’ingénieur dans un thread publié sur X/Twitter, où il détaille sa petite enquête. « J’imagine que créer des fausses femmes est un moyen facile de les attirer. » 

L’organisateur de l’évènement s’est défendu, affirmant qu’il s’agissait d’un bug, et que le faux profil était juste un outil de test de son site. Il s’est ensuite justifié de la présence sur le programme de femmes qui ne participaient pas vraiment à son évènement, en expliquant qu’elles auraient annulé leur présence et qu’il n’aurait pas eu le temps de les retirer du site.

L’une d’entre elles, disait-il, aurait même rejoint l’organisation de son évènement. Julia Kirsina, aussi connue sous le pseudo de Coding Unicorn, est une influenceuse populaire sur Instagram, où elle partage depuis 2019 des conseils sur le développement informatique à ses 115 000 followers. Sauf qu’elle pourrait, elle aussi, être un faux compte, nous raconte cet article de 404 Media, qui souligne les ressemblances troublantes entre ses publications et celle du fondateur de DevTernity. Au moment où j’écris cette infolettre, on ignore encore la véritable identité de la femme sur les photos.

règle 30

La diversité dans la tech, transformée en enjeu marketing

Pour comprendre tous les enjeux de cette histoire (déjà absurde, sans trop se pencher sur ses détails), il faut rappeler que le secteur du numérique adore les conférences. Certaines sont conçues pour être médiatisées auprès du grand public, afin de les informer des dernières nouveautés de l’industrie : le CES de Las Vegas, les keynotes Apple, etc. D’autres (la majorité) sont moins connues, car s’adressant avant tout aux professionnel·les, pour échanger sur leurs pratiques techniques et réseauter. Ces dernières années, et les confinements de 2020 aidant, ces évènements ont été pas mal critiqués pour leur impact écologique et leur prix souvent prohibitifs. On leur reproche aussi leur manque de diversité.

Sans surprise, ces évènements sont très masculins (même ceux dédiés, en théorie, aux femmes). En cause, une industrie de l’informatique dominée par les hommes, mais aussi d’autres obstacles qui viennent empirer une situation peu glorieuse : comportements sexistes, communication non inclusive, absence de solutions concernant la garde d’enfants, mépris de certaines compétences considérées comme moins techniques, une fâcheuse tendance à inviter les copains ou seulement les « stars » du milieu, etc. Si vous souhaitez approfondir le sujet, je vous recommande de regarder cette conférence donnée par Sarah Haim-Lubczanski et Cécilia Bossard à l’occasion du DevFest Nantes 2018, puis de lire ce guide très concret proposé par Manon Carbonnel

Surtout, l’histoire de DevTernity est une bonne illustration de l’évolution du traitement de la diversité dans la tech, un thème désormais bien intégré par l’industrie, mais qui préfère le transformer en enjeu marketing plutôt que de vraiment changer ses pratiques. Les leçons de cette affaire navrante peuvent d’ailleurs s’appliquer à tout le monde, même si vous n’avez pas pour habitude de vous faire passer pour une développeuse sur Instagram afin de faire la promotion de votre conférence à 800 euros l’entrée. 

Il est toujours bon de se souvenir que l’autocensure des femmes est une invention des hommes. Et que le réflexe de refuser les invitations d’évènements 100 % masculins est certes louable, mais qu’il ne suffit pas. Cette femme est-elle l’unique invitée parmi cinq, dix, vingt hommes ? Est-elle blanche ? La fait-on parler seulement des sujets liés à son identité, le sexisme, le racisme, etc ? Est-ce qu’on l’interrompt sans cesse, est-ce qu’on valorise son expertise, la fait-on parler tout court ? D’ailleurs, existe-t-elle vraiment ?

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