L’affaire a été révélée le 29 mars par le quotidien régional La Voix du Nord. Une femme a été interpellée à son domicile par la police et emmenée en garde à vue. En cause ? La publication sur Facebook d’un message la veille de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron au sujet de la réforme des retraites. Elle y mettait le message suivant :
« L’ordure va vous parler demain à 13h, pour les gens qui ne sont rien, c’est tjrs à la télé que l’on trouve les ordures ». Le message a reçu des commentaires, mais aussi des réactions sous la forme d’emojis de soutien. Le message a été partagé au moins à quatre reprises, selon la photo montrant le message publié sur le réseau social américain.
C’est le sous-préfet de l’arrondissement de Saint-Omer qui a déposé plainte contre cette Française, après avoir « eu connaissance de photos et de publications injurieuses » — l’article ne précise pas d’où provient le signalement initial. La police a ensuite ouvert une enquête. L’affaire est depuis abondamment commentée, à travers le prisme de la liberté d’expression.
Juridiquement, il existe effectivement des outils dans le droit qui prévoient des peines contre les personnes s’en prenant au chef de l’État.
Historiquement, il existait le délit d’offense au chef de l’État, une infraction pénale qui a disparu en 2013. C’était une protection juridique spécifique au président de la République, qui figurait à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle prévoyait une amende de 45 000 euros. Ce texte de loi n’existe plus en 2023.
Des sanctions en cas d’injure ou d’outrage
Mais d’autres mécanismes dans le droit sont en mesure de prendre le relais.
Ainsi, le chef de l’État peut toujours se défendre en justice contre une injure, y compris quand elle est commise par voie électronique. Ici, une publication Facebook à laquelle on accède avec une connexion Internet. C’est l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ici, la sanction prévue par le droit peut aller jusqu’à 12 000 euros.
Cet article 33 profite au locataire de l’Élysée, mais également aux ministres, aux fonctionnaires, aux dépositaires et agents de l’autorité publique, aux armées, aux administrations, aux instances judiciaires (cours et tribunaux). Divers autres groupes sont aussi concernés, y compris les particuliers à statut spécifique — juré, témoin ou citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public.
Un autre texte de loi peut aussi servir. À l’article 433-5 du Code pénal, il existe le délit d’outrage.
Celui-ci recouvre « les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques […] et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. »
La peine initiale est de 7 500 euros d’amende quand la diffamation cible une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou de sa mission. Elle grimpe néanmoins à 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement si l’outrage est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique. Le chef de l’État entre dans cette catégorie.
D’aucuns pourraient considérer que la publication du message incriminé relève d’un commentaire privé, puisqu’il a été publié sur le profil Facebook de la mise en cause. Il s’avère toutefois que publier sur le réseau peut s’apparenter à des écrits publics et, donc, relever de l’injure publique. La sanction pour une injure non publique est largement moins sévère : c’est une contravention de 38 euros.
Publier sur Facebook ne signifie pas que c’est privé
Les circonstances dans lesquelles les enquêteurs ont constaté la présence de ce message ne sont pas précisées. Une explication se trouve peut-être dans la façon dont le profil est verrouillé. Si ses publications sont librement accessibles depuis le net, en étant membre ou non de Facebook, les écrits en cause peuvent tomber dans la catégorie de l’injure publique.
Cela peut d’ailleurs rappeler l’importance de bien paramétrer son compte afin de choisir des réglages de confidentialité. Cela ne constitue pas néanmoins un totem d’immunité absolu. Des propos litigieux tenus dans des groupes privés sur le site communautaire pourraient aussi s’apparenter à de l’injure publique, en raison du nombre de personnes dans ces groupes.
Le partage initial de la publication a également pu jouer — la photo montrant le message incriminé indique que le post a été rediffusé à quatre reprises par d’autres comptes. Ceux-ci, s’ils n’étaient pas réglés avec un bon degré de confidentialité, ont peut-être joué contre l’intéressée.
Les condamnations pour des injures et des outrages sur Facebook ne sont en tout cas pas rares et sont loin d’être récentes. En 2015, un tribunal correctionnel a par exemple condamné un jeune homme à quatre mois de prison ferme pour avoir insulté la police sur Facebook. Des cas similaires existent aussi lorsque les insultes visent des particuliers.
Consulté par Numerama, l’avocat spécialiste du numérique Alexandre Archambault y voit ici une « application pour le moins zélée des dispositions classiques sur l’injure à caractère public ». Certes, tout ce qu’une personne peut dire, y compris en ligne, peut l’amener devant les tribunaux, afin d’en répondre en cas d’abus de la liberté d’expression.
Mais, ajoute-t-il, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme « considère que la tolérance doit être plus grande s’agissant des propos visant des responsables publics ». Dans son guide sur la liberté d’expression, la CEDH pointe cette souplesse lorsque l’on s’exprime au sujet, notamment, des personnalités politiques.
« La Cour considère que les organes publics et les agents de l’État agissant dans le cadre de leurs fonctions doivent accepter que les limites de la critique admissible soient plus larges pour eux que pour les particuliers », développe la CEDH. En clair, il n’est pas impossible que les tribunaux français estiment qu’on ne critiquait pas tant l’homme, Emmanuel Macron, mais son rôle de président.
Et l’avocat de souligner que les pouvoirs publics ont des priorités discutables : « On peut vraiment s’interroger sur le caractère disproportionné d’une telle procédure, là où tant d’autres personnes (notamment aux femmes et minorités sur les réseaux sociaux) se prennent des tombereaux d’injures sans que cela fasse bouger le petit doigt des autorités. »
Il reste désormais à savoir quel sort attend cette Française, convoquée devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer le 30 juin. Sa condamnation n’est pas certaine : si la liberté d’expression a des limites en France, le tribunal peut aussi apprécier les circonstances autour message, publié dans un contexte de vaste mouvement social contre un projet de réforme largement rejeté.
Se pose également la question de l’intérêt et de l’opportunité de l’action en justice contre cette justiciable. Le chef de l’État n’est pas au bout de ses peines s’il entend faire valoir ses droits à ne pas se faire insulter ou outrager — et cela, même si les textes lui procurent des leviers pour se défendre. Surtout dans cette séquence où le rejet contre la réforme des retraites est de plus en plus vif.
Cela risque enfin d’avoir l’effet inverse du résultat escompté. En effet, l’annonce des poursuites contre la Française est de nature à provoquer un vaste effet Streisand de soutien. Sur les réseaux sociaux, des internautes reprennent déjà à leur compte le qualificatif d’ordure à l’endroit d’Emmanuel Macron. Et d’autres se montrent encore plus inventifs dans le choix des noms d’oiseau.
(mise à jour avec des précisions juridiques apportées par l’avocat Alexandre Archambault)
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