Mise à jour : Contrairement à ce que laisse entendre l’intitulé de l’article, Grégoire n’est pas le premier artiste français à avoir été produit selon un mode communautaire. D’autres, comme T-ka, Clémence, ou Thomas Boissy ont déjà pu profiter du système sur le portail SellaBand.

Grégoire, c’est le nom du premier artiste issu des rouages de MyMajorCompany. Surprenant. Alors que nous mettions en doute la capacité de la plateforme à lever les fonds nécessaires pour produire un artiste, MyMajorCompany claironne environ deux mois après son lancement la naissance de son premier poulain, et par la même occasion du premier artiste français produit grâce à ce type de système.

Nous avons consacré un dossier détaillé sur les labels communautaires mais la transition Ratiatum – Numerama ne nous a pas encore permis de le remettre en ligne. Revenons donc sur le concept de MyMajorCompany, quitte à faire de la redite. L’idée, c’est de soutenir la production d’artistes via un système participatif de financement collectif. MyMajorCompany propose un catalogue d’une dizaine d’artistes choisis avec soin et parcimonie par la direction artistique. Les auditeurs peuvent investir des parts de 10 € sur ceux pour lesquels ils croient. Une fois la barre des 70.000 € atteinte, notre artiste est envoyé en studio, séquestré par des ingénieurs son, et il n’en sort qu’une fois l’album dans la poche. Chaque investisseur récupère une part infinétisimale – comme dirait l’autre – des ventes de l’album. Pour reprendre Simon Istolainen, « aux alentours de 30.000 ventes, tu récupères ta mise, 60.000 tu doubles, 120.000 tu quadruples. »

Seulement, il faut déjà y arriver, à ces 70.000 €. Si l’on prend son concurrent français Spidart, dont la longévité est environ de deux fois supérieure à celle de MyMajorCompany, l’artiste le mieux côté plafonne à 16.000 €… sur les 50.000 € nécessaires. Quelle est donc la recette miracle de MyMajorCompany pour arriver à exploser le jackpot en si peu de temps ?

Première hypothèse : ils ont trouvé la pépite rare, le talent caché sur le point de révolutionner la musique. Le meilleur moyen de s’en rendre compte, c’est toujours d’aller écouter ce que fait notre ami Grégoire. Trois petites notes niaises lancées sur un piano introduisent le titre ; elles laissent place à un chant mièvre, le genre de voix que vous n’avez que trop l’habitude d’entendre et qui vous reste toujours coincée dans la tête dès que vous avez le malheur d’y prêter attention en pesant vos légumes au supermarché. « Je me souviens de ces balades avec mon chien pour mieux trouver l’inspiration » se justifie Grégoire dans une biographie écrite avec le pathos d’un poète raté. Pour l’originalité, on lui pardonnera. Pour ce qui relève du consensus, il marque des points.

Deuxième hypothèse : ils ont réussi à créer suffisamment de buzz autour du service pour attirer foultitude d’internautes. On repense tout de suite à cette vidéo géniale dans laquelle Jean-Jacques Goldman essuie les foudres d’un producteur velu et sans pitié. Plus de 130.000 visites sur Dailymotion ; en tête des résultats lorsque l’on fait une recherche sur Goldman. Pour un buzz, c’est un buzz réussi.

Faisons un petit rapprochement avec Grégoire. « Je me suis tellement servi des chansons des autres, pour exprimer ce que je voulais d’exprimer, et en fait c’est comme ça que j’ai commencé à écrire des chansons, c’est à dire que j’en avais marre d’utiliser les mots des autres. Mais en même temps, je voulais que mes chansons… Ce que j’ai fait avec des chansons de Cabrel, des chansons de Goldman, ou même des chansons de Bowie ou d’autres, je voulais en fait que les gens puissent le faire avec les miennes. » C’est plutôt limpide. Grégoire veut faire du Cabrel ou du Goldman avec les paroles de Grégoire. Une partie du buzz est créée au sein du public de Goldman grâce à la vidéo. Les fans de Goldman trouvent du Goldman ou quelque chose qui s’y apparente de plus ou moins près. Les tirelires laissent échapper leurs pièces en se brisant sur le portail de MyMajorCompany.

MyMajorCompany a passé le plus dur de sa gestation, celle pour laquelle on doutait encore de ses chances de réussite. Car une fois l’artiste lancé, le label ne devrait pas avoir trop de mal à faire parler de lui, et l’artiste de la façon originale dont il a été produit. La première pensée qui naîtra chez ses futurs fans sera celle de se dire « et si ça avait été moi, le producteur ? » Par un effet boule de neige, on imagine bien la facilité grandissante avec laquelle MyMajorCompany produira ses artistes. En somme, une bien belle histoire qui l’attend sur les routes de la musique.

Mais parlons-en, justement, de ces routes de la musique. Internet, dans l’imaginaire collectif, constitue une terre d’accueil (parmi d’autres) pour tous ceux qui veulent fuire une culture qui ne leur parle pas, la culture MTV, la culture Star Ac’, Graines de Star et autres rejetons. Certains ont parlé de dédain élitiste sur une culture populaire ; cette idée est fausse ; l’antagonisme n’a en rien changé sur le Net. Ce qui a changé en revanche, c’est la possibilité d’accès à ses penchants. La télévision se dévoue presque entièrement à la culture populaire car c’est par définition celle partagée par le plus de gens, et le diktat de l’audience lui accorde toute la place qu’elle mérite. Internet permet au contraire à toutes de co-exister passivement, sans que l’une étouffe l’autre par son poids puisque la place est infinie.

MyMajorCompany est emblématique du goût consensuel. Sa réussite, et celle de ceux qui suivent ou suivront, signifierait donc celle de la culture populaire sur la question de l’adaptation économique au Net. On ne peut que s’en réjouir, pour ceux qui en vivent et ceux qui la partagent. Mais quid de toutes ces autres cultures qui n’ont pas leur place à la télévision ? Car le contraire du consensuel, c’est l’original, et l’original va à l’encontre de la logique même du label communautaire. Le commun rassemble, les différences éloignent. MyMajorCompany fait parti de cette première génération de sites à tenter l’expérience. Il est donc normal qu’il choisisse le dénominateur commun le plus grand. Mais si ce modèle venait à se développer, serait-il capable de se baser sur des communs plus modestes, d’induire par là même une variété de choix plus grande ? La culture populaire a trouvé une issue possible ; l’alternatif broie toujours du noir.


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