Avec son projet CV Dazzle, l’artiste américain Adam Harvey travaille sur les coiffures et maquillages qui permettront à ceux et celles qui veulent protéger leur vie privée de rendre indétectable leur visage, à l’heure des procédés automatiques de reconnaissance faciale. L’art contre la biométrie.

Lors de la première guerre mondiale, le peintre britannique Norman Wilkinson, qui était lieutenant réserviste à la Royal Navy, eut l’idée de camoufler les navires des Alliés en utilisant des illusions d’optiques pour tromper l’ennemi. Des motifs géométriques savamment dessinés sur la coque des navires marchands permettaient de rendre plus difficile leur destruction par les sous-marins allemands, car vus du périscope, les motifs troublaient l’évaluation précise de la direction des bateaux, de leur forme, ou de leur vitesse.

« L’objectif de ces motifs n’était pas tant de faire échouer les tirs de l’adversaire, mais de l’induire en erreur, lorsque le navire était visé, quant à la position exacte sur laquelle il devait faire feu« , avait expliqué Wilkinson après la guerre. Il fallait « produire un effet d’optique par lequel les formes habituelles d’un navire sont brisées par une masse de couleurs fortement contrastées, augmentant ainsi la difficulté pour un sous-marin de décider sur quelle trajectoire attaquer le navire (…) Lors de la conception d’un schéma, les lignes verticales étaient à éviter. Les lignes inclinées, courbées et les rayures sont de loin les meilleures et engendrent une plus grande distorsion de l’image« .

Cette technique de camouflage, rendue largement inefficace par l’invention du radar dans l’entre-deux guerres, est connue sous le nom de Dazzle.

C’est donc dans une forme d’hommage à Wilkinson que l’artiste Adam Harvey s’est lancé dès 2010 dans son projet CV Dazzle, qui vise non pas à tromper des ennemis de guerre, mais à tromper les systèmes de reconnaissance automatique des visages. L’artiste redoute les violations de la vie privée permises par ces systèmes de reconnaissance faciale qui sont non seulement utilisés par les forces de l’ordre pour identifier d’éventuels suspects sur la voie publique, mais aussi de plus en plus par des entreprises à des fins commerciales (qu’il s’agisse de fluidifier le paiement ou de permettre aux vendeurs de reconnaître immédiatement les clients qui entrent dans leur magasin, pour personnaliser leur offre et leur discours). 

A l’instar des navires britanniques qui restaient visibles, le principe développé par Adam Harvey consiste à ne pas utiliser de masque pour dissimuler le visage, ce qui est interdit en France, mais à adopter des coiffures et du maquillage qui troublent les algorithmes de reconnaissance faciale.

Pour perfectionner ses méthodes de camouflage, Adam Harvey a développé un logiciel basé sur OpenCV, qui utilise la méthode de Viola et Jones pour détecter la présence de visages dans une image. Il s’en sert pour tester ses théories et l’efficacité de ses maquillages. Curieusement, même les maquillages qui semblent les plus complexes, à l’instar de ces décorations tribales, ne suffisent pas à éviter la détection d’un visage :

En revanche, le fait de masquer le « pont de nez » (où se rejoignent les yeux, le nez et le front) semble interférer efficacement avec les algorithmes, tout comme le fait de masquer partiellement la région oculaire. Certaines formes géométriques à fort contraste peuvent aussi troubler les méthodes de détection basées sur Viola et Jones :

Le mois dernier, Adam Harvey a été invité en tant qu’artiste-résident au MuseumsQuartier de Vienne, un complexe culturel de 60 000 mètres carré, pour perfectionner CV Dazzle et le rendre plus accessible. Une version open-source du logiciel est « imminente » selon l’artiste.

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