Dans son rapport et l'avis qu'il a remis mardi matin au Gouvernement, le Conseil National du Numérique (CNNum) propose d'établir un "principe fondamental" de neutralité du net, mais sans le traduire de façon réellement contraignante dans la loi. Le principe, qui sera interprété par les juges, pourra subir des exceptions. Et non des moindres.

Le Conseil National du Numérique (CNNum) a remis ce mardi 12 mars à la ministre de l'économie numérique Fleur Pellerin l'avis qu'elle avait sollicitée sur "l’effectivité du cadre juridique actuel dans le but de protéger la liberté d’expression et de communication des internautes". Dans son très court avis d'une seule page, adopté à l'unanimité le 1er mars dernier et accompagné d'un rapport de 67 pages (.pdf), le CNNum se prononce pour l'instauration d'un principe fondamental de neutralité qui ne protégerait pas simplement la neutralité du net au sens technique du terme, mais plus largement la neutralité nécessaire à la sauvegarde de la liberté d'expression.

"Il semble important que la France pose un principe clair et général, s’exprimant du haut de la hiérarchie des normes", indique le Conseil. "Le principe de neutralité doit être inscrit dans la loi de la façon la plus large", car il faut "définir le principe de neutralité de façon positive afin de lui permettre d’irriguer le plus possible".

Mais concrètement, le Conseil reste très (trop) mesuré dans ses préconisations législatives, puisque le Conseil propose de ne pas inscrire de règles contraignantes spécifiques dans la loi, et de s'en tenir à l'inscription de principes généraux que devront faire respecter les juges dans un arbitrage avec d'autres principes. 

Ainsi l'avis du CNNum propose simplement de modifier le titre de la loi de 1986 sur la "liberté de communication" pour en faire la loi "relative à la liberté d'expression et de communication" (pour prendre en compte l'aspect bidirectionnel d'internet par rapport aux autres médias) et de modifier son article 1er pour ajouter que "la neutralité des réseaux de communication, des infrastructures et des services d’accès et de communication ouverts au public par voie électronique garantit l’accès à l’information et aux moyens d’expression à des conditions non-discriminatoires, équitables et transparentes". 

Il s'agit là de la seule définition, très libre d'interprétation, retenue par le Conseil National du Numérique pour faire respecter le principe de la la neutralité du net. Ce qui ne devrait pas satisfaire ceux qui espèrent une régulation forte et sans ambiguïté possible, d'autant que le Conseil laisse des portes grandes ouvertes pour autoriser certaines violations de la neutralité du net.

Un principe de neutralité qui accepte des exceptions

Ainsi, il est écrit en page 2 du rapport qu'il faut "appréhender la question de la neutralité des infrastructures garantissant l’accès de tous à tout ce qui est légal", ce qui ouvre la possibilité de distinguer au sein d'un même flux de données ce qui est légal et doit rester neutre, et ce qui est illégal et peut ne pas être traité avec neutralité. Or le simple fait de distinguer le légal de l'illégal est une atteinte à la neutralité.

De même, en page 14, le CNNum écrit que "le principe de neutralité doit être équitable envers les opérateurs de réseau ou de service, leur permettant d’adopter le principe au fur et à mesure de l’évolution des usages et de leur déploiement, suivant au plus près la phase actuelle de transition vers une nouvelle économie industrielle". Il ajoute qu'il est ,"essentiel que le principe de neutralité garantisse un accès transparent à l’information afin que les usagers puissent choisir en connaissance de cause le réseau et les services qu’ils souhaitent utiliser". On retrouve là le dogme de la régulation par la transparence promu par Bruxelles, qui sert à légitimer la mort d'un internet universel.

D'ailleurs, en toute dernière page des annexes, le rapport illustre un exemple de violation de la neutralité du net par le fait le fait qu'un "opérateur de réseaux ou de services d'accès et de communication ouverts au public ne fournit pas d'informations claires et accessibles à ses clients sur sa qualité de service, sur ses services accessibles, sur les pratiques de gestion de trafic". Ce qui veut dire, a contrario, que les FAI pourront rendre des services inaccessibles ou pratiquer des "gestions de trafic" (brider certains flux pour en favoriser d'autres) à condition de le dire à leurs clients.

S'il sera inscrit comme principe général, la neutralité ne sera pas d'application immédiate. "Son application doit être faite de façon progressive, notamment en direction des mobiles, du pair à pair et des objets connectés", prévient le CNNum. Toutefois "pour s’assurer de sa mise en oeuvre effective dans le temps, il convient de mettre en place des indicateurs pour mesurer le niveau de neutralité des réseaux et des services ouverts au public et mener des travaux de suivi".

Finalement, le plus intéressant et le plus innovant dans le rapport est l'idée (sur laquelle nous reviendrons) qu'il faut étendre le principe de neutralité au delà des FAI, pour toucher les éditeurs de services qui donnent eux-mêmes accès à des contenus ou services produits par d'autres. En particulier les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Mais le Conseil reconnaît lui-même que "c'est un domaine nouveau et une notion importante qui aura besoin d'être travaillée au fur et à mesure de son application", notamment pour "ne pas viser les services de presse, de contenus, etc. mais seulement les services d'accès aux services les plus incontournables pour les usagers ou les entreprises – comme par exemples des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des détenteurs d'APIs essentielles, etc".

(illustration : @soufron)


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