Quelle garantie des droits de la défense apportera la riposte graduée ? Aux Etats-Unis, un internaute abonné à Comcast a dû faire une longue démonstration technique au service clients de son FAI pour ne plus être accusé à la place d’un autre d’avoir téléchargé un film sur BitTorrent. Mais Comcast ne sera pas sanctionné pour avoir accusé à tort.

Dans nos 10 bonnes raisons de rejeter la loi Hadopi, nous avons beaucoup insisté sur le fait que la riposte graduée que veut mettre en place le gouvernement crée une présomption « irréfragable » de culpabilité. C’est-à-dire que l’internaute accusé est présumé coupable sans avoir la possibilité de prouver son innocence. L’accusation devient synonyme de condamnation. Au Sénat, les parlementaires ont très légèrement renforcé l’exigence de preuves, sans aller jusqu’à défendre becs et ongles le principe fondamental du droit à une justice équitable. Or personne ne devrait être accusé et sanctionné sans que les preuves ne puissent être contestées… surtout lorsque les preuves sont aussi fragiles.

Un nouvel exemple de cette fragilité nous vient encore des Etats-Unis. John Aprigliano, un abonné de Comcast, a reçu le 17 décembre 2008 une lettre de son fournisseur d’accès à Internet pour le prévenir qu’un ayant droit s’était plaint du téléchargement par BitTorrent du film Cadillac Records. D’après la lettre reçue, le téléchargement illégal aurait été réalisé avec son adresse IP le 11 décembre 2008, et le FAI rappelle que la violation de droits d’auteur peut conduire Comcast a résilier l’abonnement. Sauf que John Aprigliano n’a jamais téléchargé le film, et n’en a même jamais entendu parler.

Il lui aura fallu « quatre coups de fils, trois employés différents, environ une heure de musique d’attente au total« , et de solides connaissances en systèmes réseaux, pour en arriver à la conclusion que l’internaute coupable du téléchargement illégal n’était pas John Aprigliano, mais un nouveau client qui a récupéré l’ancien modem qu’il utilisait jusqu’à son déménagement.

Au téléphone, Aprigliano a fini par demander aux opérateurs quelle était l’adresse MAC du modem utilisé pour l’infraction. Contrairement à l’adresse IP qui peut varier d’une session de connexion à une autre, l’adresse MAC d’un modem fourni par l’opérateur ne change jamais. Or en l’espèce, Comcast avait deux adresses MAC enregistrées pour le même client. La sienne, et une ancienne adresse affectée à un modem renvoyé avant le jour de l’infraction, au moment de son déménagement. C’est cet ancien modem qui a été utilisé pour télécharger illégalement, et non le siens.

Il a fallu trois techniciens différents pour que Comcast accepte de reconnaître son erreur. Et surtout, un internaute lambda qui ignore totalement l’existence d’une adresse MAC aurait fini par abandonner et n’aurait eu aucun moyen de prouver son innocence.

En France, la Haute Autorité prévue par le projet de loi Création et Internet l’aurait condamné. Les FAI françait ont l’obligation de conserver un registre des connexions pour associer l’adresse IP utilisée à certain moment avec un de leurs abonnés, mais personne ne peut vérifier la validité de ces relevés. L’Hadopi considèrera qu’ils sont exacts, sans donner à l’internaute la possibilité de démontrer le contraire. Tout comme la validité des relevés d’infractions effectués par les ayants droits, sur lesquels apparaissent les adresses IP.

Dès lors, il faut s’interroger. Pour que le projet de loi soit équilibré, ne faut-il pas, en plus d’un renforcement des exigences de preuves et de l’ajout d’un caractère systématiquement suspensif de l’appel devant l’ordre judicaire, prévoir des sanctions lourdes contre les ayants droit ou les FAI qui accusent à tort des internautes innocents ? Ce serait respecter l’équilibre du texte tant vanté par Christine Albanel, et l’on voit mal par quels arguments FAI ou ayants droit pourraient le refuser.


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