Début décembre 2025, un lecteur de Numerama nous alerte : le contenu entier de son article de blog a été aspiré, traduit, puis recraché par un site douteux basé à Barcelone. Le rythme de publication laisse peu de place au doute. Il s’agit d’une ferme à contenu IA qui automatise le vol d’articles parus en ligne. L’occasion de décortiquer ces systèmes et d’estimer les gains de visibilité pour ceux qui les exploitent.

Anthony Charretier est un lecteur de notre rubrique aux multiples compétences. Développeur, formateur en intelligence artificielle (IA), mais aussi musicien, il est le concepteur d’un logiciel qui synthétise l’ensemble de ses centres d’intérêt : Obsidian Neural.

« C’est un outil destiné aux musiciens », explique-t-il. « Ce n’est pas un outil pour générer des chansons entières, mais pour générer certains samples avec de l’IA et de jouer en direct à la volée. »

Lancé en mai 2025, c’est précisément ce logiciel open-source qui a déclenché le reste de cette histoire.

Quelques mois après avoir présenté son projet à Londres et rendu son API disponible au public, Anthony décide de lancer un concours sur la plateforme dev.to. L’objectif est de rassembler les premiers utilisateurs autour d’un challenge créatif.

Le principe est simple : il offre des abonnements à son outil aux projets musicaux les plus aboutis réalisés uniquement avec Obsidian Neural.

Le développeur surveille alors de près si son idée fait mouche : « J’ai régulièrement des notifications quand j’ai des utilisateurs qui s’inscrivent sur mon API (…) Et là, j’ai vu une petite vague de personnes qui s’inscrivaient et qui venaient du nom de domaine qq.com, ça m’a surpris. (…) Je vais sur mon téléphone et je regarde un peu sur Google pour voir s’il y a eu un nouvel article écrit sur mon outil ».

En parcourant les pages de résultats, Anthony Charretier constate que les inscriptions depuis qq.com semblent bien légitimes et qu’elles renvoient à son article initial, mais, par hasard, il tombe dans la liste des résultats du moteur de recherche sur le site de Q2B Studio.

Capture d'écran de l'article initial // Source : dev.to
Capture d’écran de l’article initial // Source : dev.to

Un site de services informatiques

La prévisualisation Google et le titre du résultat indiquent clairement que le contenu est en espagnol, mais il semble bel et bien parler d’Obsidian Neural, l’outil d’Anthony Charretier. « Je me dis : “Est-ce que c’est un studio de musique ?” Donc je clique et je me rends compte que c’était mon article, mais qui avait été traduit en espagnol. (…) Ça donnait la sensation que c’étaient eux qui organisaient le concours. »

Pourtant, une rapide visite du site de Q2B Studio suffit à constater que l’entreprise, basée à Barcelone, n’a a priori aucun lien avec l’industrie musicale.

Présentée par Google comme une société de logiciels, elle affiche un catalogue de services allant du développement d’applications, à la cybersécurité, en passant par l’automatisation de processus.

L’article d’Anthony y est reproduit dans son intégralité ou presque, deux liens ont été ajoutés dans le texte pour renvoyer le lecteur vers la page de services de développement logiciel de Q2B Studio.

« Ce que j’ai fait dans l’immédiat, c’est d’envoyer un mail de mise en demeure pour leur demander de retirer l’article », retrace Anthony Charretier.

L’entreprise répond, présente ses excuses et assure qu’il s’agit d’une erreur : « Parfois, notre IA publie des messages non contrôlés qui reflètent ses propres biais. Le message a été supprimé. »

Un rythme de publications effréné

Le message d’excuse ne suffit pas à éteindre la curiosité du développeur, qui retourne sur l’onglet blog de l’entreprise pour estimer le nombre de publications potentiellement volées. Problème : le rythme de publication est démentiel et les pages à remonter se multiplient à mesure de l’exploration. Q2B Studio semble avaler à peu près tout contenu sur son passage.

« Il fallait que je fasse un script pour scraper leur site. Je n’allais pas pouvoir compter à la main, c’était impossible », explique Anthony Charretier.

Les résultats sont édifiants : au pic de ses capacités, pendant quatre semaines, ce processus de vol automatisé a produit en moyenne plus de 7 000 articles par jour, avec un record à 10 275, soit environ un article toutes les 8,4 secondes. À titre de comparaison, un média comme le New York Times en publie approximativement 250 sur la même période.

Evolution du nombre de publications quotidiennes sur Q2B Studio // Source : Anthony Charretier
Evolution du nombre de publications quotidiennes sur Q2B Studio // Source : Anthony Charretier

Les résultats du script affichent clairement quand la stratégie IA a été mise en place, le rythme de publication ayant bondi de près de 2 000 % à la fin octobre.

Pourquoi ça marche ?

Mais alors, à quelles fins cette automatisation a-t-elle été mise en place ? Pour les détenteurs du site Q2B Studio, l’intérêt est double.

D’abord, comme le montrent les analyses de trafic, cette stratégie a clairement permis au site de doper son audience organique, en passant d’environ 17 000 visites mensuelles en septembre à 51 000 début novembre 2025. Trois mois durant lesquels Google n’a ni sanctionné ni visiblement pénalisé cette hausse brutale de publications, rendue possible par la mise en place de ce système de vol automatisé par IA en octobre 2025.

Une audience encore trop faible, toutefois, pour générer des revenus publicitaires significatifs : le site de Q2B Studio n’affiche d’ailleurs aucune annonce, signe que l’enjeu de l’entreprise se situe ailleurs.

Evolution du nombre de visites mensuelles sur Q2B Studio // Source : SimilarWeb
L’évolution du nombre de visites mensuelles sur Q2B Studio. // Source : SimilarWeb

L’autre point d’intérêt pour les pilleurs de contenus réside dans la légitimité que ces pratiques confèrent à des entreprises qui s’attribuent implicitement la paternité des logiciels open source dont elles pillent la documentation.

En ajoutant des liens affiliés vers leurs propres pages de services, un lecteur inattentif pourrait croire que le logiciel décrit est le fruit du travail des équipes de Q2B Studio et, par ricochet, faire appel à leurs prestations.

Et les scammers en ligne ne s’y trompent pas : ils savent parfaitement où aller chercher leur matière première. Depuis le début de notre investigation, au moins deux autres projets publiés sur dev.to ont été aspirés puis recrachés en espagnol sur le site de Q2B Studio.

Sur LinkedIn, un profil professionnel a également revendiqué la paternité du projet Obsidian Neural d’Anthony Charretier, cette fois au profit d’une entreprise spécialisée dans l’IA et rattachée à une holding basée en Inde.

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