Pour les entreprises, le plus grand événement sportif du monde est une belle vitrine pour vendre leurs produits et services sécuritaires. Quitte à survendre leurs solutions innovantes pour être de la fête. 

C’est promis, les Jeux Olympiques de Paris seront une fête. Aucun incident, on l’espère, ne viendra troubler cette célébration planétaire, qui se déroulera à l’été 2024. Et, cela, grâce aux solutions innovantes mises en place par des industriels de pointe pour assurer la sécurité des Jeux, assurent en substance les organisateurs de l’événement, comme la vidéosurveillance algorithmique.

Contestées, ces caméras dopées à l’intelligence artificielle doivent ainsi permettre « de détecter plus rapidement et plus facilement les risques graves », « de fluidifier le contrôle à l’entrée des sites de compétition et de célébration » et « de mieux coordonner les équipes mobilisées pour la sécurité dans les transports », assure le ministère de l’Intérieur.

Attention cependant à la douche froide. Outre les craintes d’une « collecte massive de données personnelles » et d’une « surveillance automatisée et disproportionnée de l’espace public », signale l’ONG Amnesty International, il est également possible que ce genre de technologie innovante fasse un four. Ou bien qu’elle ne soit tout simplement pas une bonne réponse au problème posé, ce que dénoncent les pourfendeurs du techno-solutionnisme, cette idée que la technologie — et plus précisément le numérique — puisse résoudre tous les problèmes. Il y a douze ans à Londres, le principal problème des Britanniques avait ainsi été le manque d’agents de sécurité. En somme, du personnel sur le terrain.

Le flop d’Athènes

En matière sécuritaire, il existe un flop technologique emblématique : celui d’Athènes en 2004. À l’image d’un épisode de la série télévisée Black Mirror, les polices grecques devaient s’appuyer sur un réseau de milliers de caméras traquant des coups de feux, des micros cachés capables d’analyser des dizaines de langues pour détecter des discussions terroristes et des capteurs chimiques chargés de détecter des attaques biologiques. Soit le système du genre le plus complexe jamais construit, expliquait Science Applications International Corp. Cette société américaine dirigeait le consortium d’entreprises — dont l’européen EADS, désormais Airbus — qui participaient au projet. 

Mais ces fournisseurs tardent à mettre en place ce système d’hypervision, qui consiste à rassembler différents signaux ou capteurs en un site central. Cela avait inquiété les experts sur le peu de temps laissé aux agents de sécurité pour se familiariser avec l’outil. Le très coûteux système de sécurité à 259 millions d’euros était ensuite devenu la source d’un litige entre la Grèce et son fournisseur. La république hellénique, qui renâclait à payer la facture, déplorait des manques et des défaillances du logiciel, devenu « un cauchemar technique », selon Minas Samatas

Il était d’une « inefficacité scandaleuse », relève ce sociologue grec à Numerama. Et de rappeler que la question complexe du terrorisme « ne peut être résolue par la seule technologie ». « Même avec des innovations basées sur l’intelligence artificielle comme les systèmes d’analyse comportementale qui vont être mis en place pour les Jeux Olympiques de Paris », prévient-il.

Bug dans la communication

Huit ans plus tôt, à Atlanta, les Olympiades avaient également accumulé des déconvenues informatiques. Censés être la première olympiade high-tech de l’histoire, les Jeux Olympiques avaient connu des ratés dans la transmission des résultats, par exemple, forçant les organisateurs à revenir aux bons vieux messages sur papier. Ce n’était pas le pire : comme le relève l’analyste Austin Duckworth, un autre bug d’importance a eu lieu lors de cette édition.

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À Atlanta aussi, l’informatique a connu des ratés. // Source : ucumari photography

Quelques minutes avant l’explosion de la bombe du Centennial Olympic Park, qui a fait deux morts et 111 blessés, un appel prévient la police l’imminence d’un attentat, rapporte-t-il dans son livre International Security and the Olympics Games. L’opérateur tente alors d’entrer le lieu dans le système informatique, censé notifier automatiquement la police d’Atlanta. Sans succès, faute de pouvoir entrer la bonne adresse… Finalement, l’agent appelle directement la police, perdant ainsi un temps précieux, pour demander l’adresse du parc. « On ne l’a pas, vous me prenez pour qui? », lui rétorque-t-on.

Avec un logiciel plus ergonomique, aurait-on pu éviter un aussi grand nombre de victimes ? Impossible de répondre à cette question. Le problème n’était d’ailleurs pas une question de logiciel pour William Rathburn, l’ancien directeur de la sécurité des Jeux d’Atlanta. L’auteur de l’attentat était « un loup solitaire qui était hostile à l’avortement et au socialisme, pointait-il à France Info. Il n’avait rien contre les Jeux en tant que tels. Il ne figurait pas sur la liste des menaces. Vous auriez pu déployer tous les logiciels espions que vous vouliez, je ne suis vraiment pas sûr que vous l’auriez arrêté. »

Enjeu de vitrine

Mais ce genre de constat sur les limites de la technologie passe souvent au second plan derrière des annonces choc. Un exemple avec cette force de police japonaise qui expliquait vouloir s’appuyer sur un logiciel de police prédictive pour améliorer la sécurité lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Un genre de logiciel depuis très décrié, car jugé inefficace, comme le démontre cet article publié par The Markup et Wired.

« Les Jeux Olympiques sont en eux-mêmes un enjeu de vitrine » pour les entreprises, résume à Numerama l’universitaire Pierre-Olaf Schut. « Cela leur permet de tester des solutions, de faire de la recherche et du développement, et de montrer qu’elles sont des entreprises innovantes », même en cas d’échec du produit, ajoute-t-il.

« Une des caractéristiques des promesses techno-scientifiques est la mise en avant de délais exagérément optimistes quant à leur éventuelle concrétisation », relèvent également à ce sujet les universitaires Bastien Soulé et Ludovic Lestrelin. Et de rappeler que ce genre de dispositifs demande du temps et des ajustements pour être intégré dans des habitudes de travail. Autrement dit : il n’est pas du tout sûr que des solutions innovantes déployées à la dernière minute ne changent vraiment la donne.

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