Le Parlement devrait définitivement adopter le 25 mai prochain le projet de loi Urvoas de réforme pénale et de lutte contre le crime organisé. Un article condamne de deux ans de prison la lecture de certains sites terroristes, sauf si l’accusé plaide avec succès sa bonne foi. Le point sur cette mesure contestée.

Réunis en commission mixte paritaire (CMP) le mercredi 11 mai 2016, les sept députés et sept sénateurs chargés de négocier entre eux la version finale du projet de loi Urvoas ont trouvé un accord, dont le résultat est publié sur le site de l’Assemblée nationale. S’il est adopté tel quel par les deux chambres parlementaires, ce qui n’est généralement qu’une formalité à ce stade, le texte ajoutera un nouvel article au code pénal, pour sanctionner la visite régulière de certains sites d’apologie du terrorisme :

« Art. 421-2-5-2. – Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.

Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »

Un délit voulu par Nicolas Sarkozy

Cette disposition pénale très contestée avait été adoptée par le Sénat en mars 2016, contre l’avis du gouvernement. On pouvait donc s’attendre à ce que la CMP l’écarte, notamment au regard du risque d’inconstitutionnalité qui avait été soulevé y compris par Bernard Cazeneuve et Jean-Jacques Urvoas. Le ministre de la justice avait rappelé que le droit existant permettant déjà de sanctionner la visite de sites terroristes, mais uniquement si c’était un élément parmi d’autres démontrant un projet terroriste.

En laissant passer le texte, la majorité socialiste qui avait rejeté le dispositif neutralise la stratégie de Nicolas Sarkozy, qui avait fait de ce nouveau délit un marqueur de sa campagne sécuritaire sur Internet. « Vous consultez un site pédophile, vous êtes un pédophile. Vous consultez de façon régulière un site djihadiste, vous êtes un apprenti djihadiste », se plaisait-il à rappeler dans ses meetings et dans des interviews. Si la loi est définitivement adoptée et promulguée dans les jours à venir, il ne pourra plus accuser le gouvernement de laxisme sur ce point.

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Quels « sites terroristes » seront concernés ?

Par rapport aux toutes premières propositions parlementaires de pénalisation de la visite de sites terroristes, qui ouvraient grand la porte aux délits d’opinion en sanctionnant y compris la seule lecture de textes d’apologie, le dispositif adopté en CMP apporte quelques garanties qui devraient limiter les dérives.

Il est ainsi prévu que la lecture de sites terroristes ne soit condamnable que si et seulement si ces derniers « comporte[nt] des images ou représentations montrant la commission » d’actes de terrorisme qui font sciemment des victimes humaines, et si ces images sont bien diffusées dans le but de faire l’apologie du terrorisme, ou de provoquer à des actes terroristes.

Lire régulièrement un site qui fait explicitement l’apologie du djihad mais qui n’affiche aucune image d’attentats ou de têtes tranchées ne sera donc pas sanctionné. En revanche, lire un site qui diffuse de temps à autres des vidéos d’exécutions ou des dessins montrant des tortures, pour s’en féliciter ou faire des menaces, pourra l’être.

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L’idée du législateur est à la fois de limiter l’atteinte à la liberté d’expression (la publication des textes reste de toute façon condamnable), et d’apporter un élément matériel à l’infraction de lecture. C’était indispensable à son éventuelle validation par le Conseil constitutionnel. Le principe de légalité des délits et des peines impose en effet que le justiciable puisse savoir lorsqu’il est en infraction, ce qui exige un degré fort d’objectivité. Or une photo ou une vidéo montrant un attentat est un élément matériel plus objectif que des textes dont l’interprétation reste subjective.

Néanmoins, le texte pénalise la lecture de sites terroristes qui comportent de telles images, et non la consultation de ces images. Il est donc théoriquement possible qu’un internaute qui ignorerait la présence de telles photos ou vidéos sur le site qu’il lit régulièrement soit tout de même condamné.

Des possibilités de prouver sa « bonne foi »

Par ailleurs, le texte laissera une marge de manœuvre aux tribunaux et à la défense. Il est en effet précisé que le délit n’est pas applicable « lorsque la consultation est effectuée de bonne foi ».

La mauvaise foi est présumée, ce qui est problématique sur le plan de la présomption d’innocence, mais le texte offre la possibilité aux accusés de tenter de démontrer que leur lecture répétée de sites qui contiennent des images d’actes terroristes, et qui font l’apologie du terrorisme, n’est le fruit que d’une curiosité citoyenne ou de travaux personnels, et non le témoignage d’un dessein terroriste.

Le risque de créer un délit d’opinion est toutefois palpable, voire de créer un délit de religion si la bonne foi est plus facilement admise lorsqu’elle est plaidée par Christian que par Mohammed. Les tribunaux devront s’astreindre à une rigueur particulière pour accueillir avec la même objectivité tous les arguments, sans préjugés.

Pour préserver les journalistes et les chercheurs qui doivent s’informer à la source, le texte écarte aussi de l’infraction la lecture de sites qui « résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, [ou] intervient dans le cadre de recherches scientifiques ».

Comment savoir qui consulte ces sites ?

La mise en pratique de la disposition reste énigmatique. Les fournisseurs d’accès à internet ont l’obligation de conserver certaines données de connexion et de les mettre à la disposition de la justice, mais l’article L31-1-1 du code des postes et communications électronique précise que ces informations « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications ».

Dans un avis récent, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) avait estimé que les URL des sites visités pouvaient être considérées comme de simples données de connexion, mais l’avis dit à la fois tout et son contraire, et n’a de toute façon aucune portée juridique contraignante.

L’utilisation des fameuses « boîtes noires » installées auprès d’hébergeurs ou de FAI pourrait être envisagée, avec toutefois les mêmes difficultés. Ces boîtes noires fonctionnent avec les métadonnées fournies par les opérateurs, et ces derniers n’ont pas (ou pas toujours) connaissance des URL demandées par les internautes.

En pratique, à l’instar de ce qui est fait avec l’interdiction de visiter des sites pédopornographiques, la disposition pourrait surtout être utilisée après des perquisitions contre des suspects, lorsque les policiers n’ont pas grand chose d’autre à exploiter qu’un historique de navigateur sur un PC saisi, ou un mouchard installé sur l’accès à internet de la personne surveillée.


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