Le décret sur la négligence caractérisée paru ce samedi au Journal Officiel pourra-t-il être attaqué pour violation de la présomption d’innocence, comme l’avaient menacé les députés socialistes ? Comme nous l’expliquions dans notre analyse du décret, le texte rend coupable de négligence caractérisée celui qui n’a pas installé un moyen de sécurisation avec diligence, après réception d’une lettre recommandée envoyée par l’Hadopi l’invitant à le faire. Mais sur la foi des relevés d’adresses IP qu’elle recevra, l’Hadopi présumera qu’il n’y a pas de moyen de sécurisation mis en place par l’abonné lorsque son adresse IP aura été collectée sur les réseaux P2P dans le cadre d’un téléchargement illégal. C’est seulement s’il est entendu par l’Hadopi, puis par le juge, que l’abonné averti sera amené à expliquer les mesures qu’il a mis en place.

Lors de l’examen du projet de loi Hadopi 2, le Conseil constitutionnel avait refusé de se prononcer sur l’infraction de négligence caractérisée, en notant que puisque les éléments constitutifs de l’infraction seraient définis par décret, c’était au Conseil d’Etat de vérifier son respect des droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel avait en effet prévenu dans son commentaire officiel que c’est « sur la question de la définition du lien entre, d’une part, le constat de ce qu’un accès à internet est utilisé à des fins attentatoires aux droits d’auteurs et, d’autre part, l’engagement de la responsabilité pénale du titulaire du contrat d’abonnement (lien plus ou moins automatique selon la rédaction qui sera retenue par le projet de décret), que se concentre la question du respect ou de la méconnaissance de la présomption d’innocence ».

Auditionnée cette semaine par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale, la présidente de la commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi, Mme Mireille Imbert-Quaretta, a assuré que le décret respectait cet équilibre. « Le résultat est d’une étonnante subtilité« , a-t-elle défendu.

Le décret sur la négligence caractérisée devait éviter deux écueils. Il fallait d’une part que la définition de la contravention ne prenne pas de plein fouet les décisions du Conseil constitutionnel, notamment en termes de présomption de responsabilité – il était exclu que sa rédaction puisse laisser penser que l’on instaurait une présomption de responsabilité du titulaire de l’abonnement. Mais il ne fallait pas non plus que cette définition soit stricte au point de donner à penser qu’il ne pourrait jamais y avoir de poursuites – car sans la possibilité de poursuites, c’est toute la loi qui ne pourrait être appliquée. L’équilibre était donc délicat à atteindre pour une contravention, et le résultat est d’une étonnante subtilité.

Elle a également confirmé qu’il n’y avait « plus de lien entre la constitution de négligence caractérisée et la mise en œuvre d’un moyen de sécurisation labellisé par la Hadopi« . « Nous n’imposons pas un moyen de sécurisation. Ce sera donc une appréciation au cas par cas des diligences faites par le titulaire de l’abonnement pour sécuriser sa ligne« , a-t-elle expliqué.

Or si le décret est d’une « étonnante subtilité », le spectre des moyens de sécurisation semble être d’une « étonnante diversité ». Ainsi Mme Imbert-Quaretta donne cet exemple :

Imaginons qu’il s’agisse d’enfants ou d’adolescents et que leurs parents, titulaires de l’abonnement, les privent d’accès internet après avoir découvert ce qui s’est passé : c’est un moyen de sécurisation ! Il faut donc laisser ouverte la possibilité de prendre en compte les observations de tous ceux qui nous apporteront des réponses.

Mais l’audition a surtout confirmé que le nombre de cas transmis au parquet seront extrêmement rares, pour ne pas dire inexistant. A de nombreuses reprises, la présidente de la CPD a utilisé cette formule : « La CPD  » peut « … ou peut  » ne pas «  » transmettre au parquet les dossiers dont elle a connaissance. « L’intention du législateur n’est pas que les négligences caractérisées fassent l’objet d’une transmission en masse au parquet. La transmission au parquet reste donc un acte de dissuasion, la réponse graduée étant avant tout de la pédagogie !« .

L’essentiel, c’est de faire peur.


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