Le débat sur la chronologie des médias est constamment électrifié par les exploitants de salles, qui craignent qu’une commercialisation précoce des films en DVD, Blu-Ray ou VOD dissuade les spectateurs de venir en salle. Mais dans le cas d’Avatar, sa sortie en vidéo a au contraire convaincu les spectateurs de retourner voir le film au cinéma.

Rares sont les films à avoir tenu aussi longtemps à l’affiche. Dernière super-production de la 20th Century Fox, Avatar a littéralement survolé le box office international depuis sa sortie mondiale, le 16 décembre dernier. Avec une recette supérieure à 2,71 milliards de dollars, le dernier film de James Cameron est incontestablement devenu le plus gros succès du box office mondial. Un vrai succès pour la major, qui a misé gros sur l’un des films les plus onéreux de toute l’histoire du cinéma.

Or, ce succès phénoménal a évidemment poussé les gérants des salles de cinéma et les sociétés exploitantes à maintenir aussi longtemps que possible Avatar à l’affiche (comme en France, où le film est encore joué dans certaines salles parisiennes notamment). Et à mesure que les semaines se sont écoulées, une interrogation a fini par apparaitre : la sortie DVD allait-elle affecter d’une façon ou d’une autre les excellentes entrées que le film continuait à enregistrer ?

Cette problématique n’est en réalité pas vraiment nouvelle. Depuis toujours, la profession lutte pour éviter une chronologie des médias trop défavorable pour leur activité, estimant qu’une sortie DVD trop proche de la diffusion en salles aurait un impact forcément négatif sur la fréquentation du public. Selon eux, la compétition contre la fameuse projection privée, chez soi, confortablement installé dans son canapé, était courue d’avance. Et le résultat serait défavorable.

Dès lors, pas question de se tirer une balle dans le pied en programmant un film qui aurait l’outrecuidance de sortir le même jour en DVD, ou même dans les semaines qui suivent l’exploitation. Or, l’expérience du cinéma est avant tout une expérience sociale. C’est une activité collective : on y va en famille, entre amis ou en couple. Bien sûr, voir un film sur sa platine DVD ou Blu-ray est certainement très agréable, mais cela ne reproduit définitivement pas la magie des salles obscures.

C’est d’ailleurs ce qu’avait déclaré en substance James Cameron le mois dernier, lors de la conférence CTIA – The Wireless Association. Selon lui, la lutte contre le piratage des contenus numériques passe inévitablement par l’expérience inégalée qu’offre le cinéma. Ainsi, celle-ci ne peut pas être reproduite par un banal DVD Screener, comme la trois dimensions. Du moins, en l’état actuel des choses.

Sans doute que les gérants de salles obscures ne seront pas convaincus. Ce serait pour eux une vraie révolution copernicienne d’imaginer qu’un DVD commercialisé en même temps ou à quelques jours de la sortie cinéma n’affecte pas la fréquentation du public, et donc les recettes engrangées. Or, une enquête menée par Mike Masnick, de Techdirt, a mis en lumière que pour Avatar, non seulement la sortie DVD ne gène pas l’audience attendue, mais en plus relance l’intérêt du public pour voir ou revoir le film au cinéma.

Tout d’abord, les premiers jours de la commercialisation d’Avatar ont démarré sur les chapeaux de roues. En effet, en à peine quatre jours, pas moins de 6,7 millions d’exemplaires du film ont trouvé un acheteur (2,7 millions pour le Blu-ray et 4 millions pour le DVD). Au total, les ventes ont dépassé les 130 millions de dollars. Selon le studio américain, il s’agit-là de la plus vente de Blu-ray la plus rapide de l’histoire.

Cela rappelle au passage que si le film a été largement piraté, cela n’a pas affecté le succès du film aux Etats-Unis ou dans le monde. Car les versions pirates sont pourtant disponibles depuis de longs mois sur les réseaux d’échange peer-to-peer et sur les serveurs spécialisés dans l’hébergement. Doit-on comprendre que le partage illicite ne détruit pas le marché du DVD ? En tout cas, il y a encore 6,7 millions d’individus qui sont encore disposés à acquérir des galettes optiques.

Mais le plus intéressant dans l’analyse de Mike, c’est bien l’impact qu’a eu la sortie du film dans le commerce, alors qu’il était encore à l’affiche. Selon Techdirt, Avatar a généré en moyenne 2 006 dollars au box office par cinéma pour la période du 16 au 18 avril. Le 22, le DVD était mis dans les rayons. Le week-end suivant, Avatar a engrangé en moyenne 2 186 dollars au box office par cinéma, soit une différence de 180 dollars par rapport à la précédente période.

Mieux encore. La sortie du film dans le commerce a forcément incité de nombreux cinéma à précipiter la déprogrammation du film, pour éviter de bloquer une salle avec un film qui ne ferait plus d’entrée. Pour avoir une vision plus nette, Mike s’est intéressé cette fois à la période du 9 au 11 avril, qui est moins proche de la sortie DVD, sans pour autant être dans le pic d’engouement du film.

À ce moment-là, 454 salles de cinéma ont joué Avatar aux États-Unis, pour une moyenne de 1 860 dollars par cinéma (844 651 dollars au total). Si on reprend les chiffres du week-end dernier, le film était à l’affiche dans moins de cinéma, 421, avec – comme cela a été noté plus haut – 2 186 dollars au box office par cinéma, pour un total de plus 920 000 dollars. Donc, entre ces deux semaines, avec pourtant mois de cinémas, il y a eu un bond notable de fréquentation pour le film Avatar, alors que le DVD était sorti entretemps.

Qu’en conclure ? Evidemment, il faut se garder de dresser des généralités à partir de cas particuliers. Car Avatar est inévitablement un cas particulier dans le cinéma et il faudra vérifier ce phénomène pour d’autres films. Mais c’est déjà un signe que la théorie imaginée par les gérants de salles ou les ayants droit n’est pas définitive et immuable. Et ce n’est pas la première fois que les faits viennent contredire et démystifier les propos des studios.


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