Il y a une véritable hypocrisie des pays occidentaux lorsqu’ils critiquent la censure que le gouvernement autoritaire chinois exerce sur Internet, ou l’irrespect des droits de l’Homme. La presse ne s’est vraiment émue de la censure d’Internet ces derniers jours que lorsqu’elle a appris qu’elle ne frapperait pas seulement la population chinoise qui la subit tous les jours, mais également les journalistes eux-mêmes présents à Pékin pour couvrir les Jeux Olympiques. Dès que l’on touche à la liberté des journalistes, c’est crime de lèse-liberté. Mais lorsqu’il s’agit de la population chinoise, ça n’est affaire que de politique intérieure, et l’on ne se mêle pas de choses-là.

Si les Etats occidentaux se soucient réellement de la censure d’Internet et du respect des droits de l’Homme en Chine ou ailleurs, ils ont les moyens d’agir très simplement. Les sociétés qui permettent cette censure s’appellent Cisco (fournisseur officiel de la grande muraille numérique), Google, Microsoft ou Yahoo. Autant de grandes sociétés établies aux Etats-Unis, qui préfèrent leurs intérêts financiers aux intérêts des droits de l’Homme. Or il suffirait que les les parlementaires américains et européens votent une loi qui fait interdiction aux entreprises de fournir à l’étranger des biens ou des services facilitant la censure d’Internet ou la violation des droits de l’Homme en toute connaissance de cause, sous peine de dissolution, pour que les intérêts « moraux » repassent au premier plan.

Il y a bien un projet de loi en ce sens aux Etats-Unis, le Global Online Freedom Act (GOFA), qui interdirait aux sociétés américaines de stocker des données personnelles sur des serveurs situés dans des pays sensibles comme la Chine. Politiquement très complexe, le texte est encore bloqué à la Chambre des Représentants. En Europe, l’eurodéputé hollandais Jules Maaten a présenté le mois dernier une version européenne du texte. Mais il est encore loin de l’adoption définitive.

89 % des actionnaires de Yahoo contre un Comité des Droits de l’Homme

Les sociétés modernes ont perdu toute valeur humaniste face à l’argent roi, et derrière l’hypocrisie des discours une loi aussi simple que celle-ci reste pour le moment une chimère pour idéaliste naïf. L’humanisme reviendra, peut-être, un jour. En attendant, les faits sont cruels. Ainsi alors qu’ils renouvelaient leur confiance dans le conseil d’administration de Yahoo, les actionnaires ont été appelés à voter pour deux propositions de résolution. L’une en faveur de l’établissement d’une politique sur la censure sur Internet ; l’autre sur la création d’un comité du conseil sur les droits de l’Homme. Rejetées. La première résolution a été abattue par 85 % de voix contre, et la seconde par 89 % des voix. Circulez, y a rien à voir.

Yahoo a illustré à de maintes reprises dans le passé son intérêt plus que limité pour le respect des droits de l’Homme. La firme américaine, qui dispose d’une version chinoise de son moteur de recherche, accepte depuis des années de censurer les résultats relatifs à certains domaines sensibles, comme les évènements de Tien An Men, l’indépendance de Taïwan ou des bloggeurs considérés comme dissidents. Mais elle collabore surtout à la chasse aux sorcières contre les opposants au régime ou ceux qui ne font que leur métier d’information du public.

En avril 2005, le journaliste chinois Shi Tao a ainsi été condamné à dix ans d’emprisonnement pour « divulgation illégale de secrets d’Etat à l’étranger« , grâce à des informations fournies par Yahoo. En 2006, Reporters sans Frontières a découvert que le cyberdissident Jiang Lijun, condamné trois ans plus tôt à quatre ans de prison, l’avait aussi été grâce à la collaboration de Yahoo. A la même époque, Wang Xiaoning, qui s’était exprimé en faveur de la démocratie en Chine à travers des journaux en ligne et des newsletters publiées entre 2000 et 2002, avait déjà été condamné à 10 ans de prison grâce aux informations communiquées par Yahoo. De même pour Li Zhi, condamné à huit ans de prison pour « incitation à la subversion » pour avoir qualifié les pratiques des hommes politiques locaux de « mafieuses » sur des forums de discussions et dans des articles sur Internet.

Yahoo s’est excusé publiquement en 2007 pour avoir collaboré aux arrestations de Shi Tao et Wang Xiaoning, et Jerry Yang, le fondateur et dirigeant de Yahoo, avait assuré de sa volonté de créer un fonds d’aide consacré aux droits de l’Homme. Mais c’est bien connu, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.

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