Le RGPD est entré en vigueur le matin du 25 mai 2018. Les lecteurs européens de grands titres de presse américains ont été surpris de trouver une page vide, un blocage géographique… ou des idées étonnantes.

Si l’on s’y penche avec sérieux, le RGPD n’est pas le cauchemar pour le web qu’on s’imagine. Le texte européen, qui s’applique à tout citoyen européen, n’a que deux missions : rendre l’internaute plus informé de ce que les services font des données dites « personnelles » et donner l’occasion à ces services de ne pas être des boulimiques de la data inutile à leur fonctionnement.

Et dans les faits, le web qu’on connaît s’est constitué avec ce concept de privacy au second plan. Si l’on exclut la publicité, la plupart du temps, ce n’est même pas une volonté de nuire, mais de l’inconscience : tel service qui n’a pas configuré son application Facebook et qui se retrouve avec des données dans sa base trop précises à cause de son bouton Facebook Connect, tel autre qui se retrouve avec une montagne d’e-mails pour une newsletter qu’il n’envoie plus… Bref, le RGPD force les entreprises à revoir leurs pratiques, à assainir leur collecte de données au strict nécessaire pour leur bon fonctionnement et à informer les utilisateurs de cette collecte. Le consentement pour les données personnelles doit en effet être clair, positif et informé.

Les médias américains face au RGPD : plusieurs cas

Ce qui inquiète certaines entreprises n’est pas tant l’esprit du texte, qui va amener indéniablement à un web meilleur, mais les nouvelles armes mises dans les mains des états de l’Union pour sanctionner les mauvais élèves. 4 % du chiffre d’affaires, c’est une belle amende, même pour un géant du web dont le chiffre d’affaires se compte en milliards. Face à ce couperet, des médias, plus fragiles économiquement que les mastodontes du web, ont préféré baisser les bras.

Le premier que nous avons repéré grâce à un lecteur est USMagazine. C’était il y a deux semaines maintenant : du jour au lendemain, sans prévenir, le média est devenu inaccessible de la plus sèche des manières — une erreur 403.

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Nous avons alors essayé, grâce à un VPN, d’y accéder depuis d’autres pays. Bingo : tous les pays européens sont bloqués, mais pas l’Australie, les États-Unis ou le Brésil. Derrière cette erreur, c’est donc un géoblocage des adresses IP européennes qui se cache. Contactée, la direction de USMagazine ne nous a jamais répondu.

D’autres médias, mastodontes du paysage américain et international, ont choisi l’option du message. Le résultat est le même : le lecteur ou la lectrice qui vient d’Europe ne peut pas accéder à l’information. C’est le cas du LA Times ou de la Chicago Tribune, deux références maintes fois saluées pour leurs investigations. Tous deux sont des médias du groupe Tronc. On peut compter tous les médias de ce groupe aux abonnés absents : les autres références sont des médias régionaux ou locaux. Ces médias précisent qu’ils cherchent une solution et seront accessibles quand ils l’auront trouvée.

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Le grand Washington Post, propriété de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, a choisi une autre stratégie : il est inaccessible dans sa version gratuite sans validation du consentement et invite à passer au payant. Tout utilisateur européen sera bloqué par un hard paywall qui ne lui laisse même pas accéder à la page d’accueil du site sans valider au préalable le consentement publicitaire. Payez en argent ou en donnée, en somme.

La stratégie est loin d’être mauvaise et on dirait que les équipes du business man ont compris le « faites du RGPD une force pour vos affaires » répété à l’envi par le parlement européen : les utilisateurs qui ont un compte sur le WashPo peuvent facilement accepter de consentir à la collecte de certaines données de mesure d’audience et n’ont aucun intérêt à être ciblés pour la publicité… puisqu’ils paient.

USA Today, de son côté, est peut-être le plus… étonnant. Le média américain a en effet choisi de créer une version européenne de son site qui est absolument épurée. Pas de pub, pas de collecte de données d’audience. Du texte, des images, des liens. On est presque dans une situation où le média montré à l’Europe est une version premium du média original.

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Difficile aujourd’hui de prévoir la manière dont ces médias évolueront. La stratégie du Washington Post semble être la plus maline : le média profite de l’opportunité pour chercher à convertir des utilisateurs gratuits en abonnés payants — la bourse ou la donnée, en somme. USA Today est un cas étonnant et pourrait être une phase de transition vers un modèle économique européen qui pourrait être soit directement monétisé auprès d’une régie publicitaire dans les clous, soit premium.

Les médias qui bloquent complètement leur contenu à l’Europe sont les plus problématiques aujourd’hui : l’accès à l’information internationale est fondamental pour comprendre le monde et priver les Européens et les Européennes de sources aussi importantes que le Chicago Tribune ou le LA Times n’était certainement pas l’intention du législateur.

Comment accéder aux sites bloqués

Le RGPD va peut-être lancer le business des VPN (Réseaux Privés Virtuels) auprès du grand public. Ces petits outils qui permettent de se connecter depuis une autre région du globe sont utilisés aujourd’hui majoritairement par les professionnels, les entreprises et certains technophiles. Sans aucune affiliation avec le service, Numerama vous conseille TunnelBear qui offre une utilisation gratuite et est simple d’usage : créez un compte, installez l’extension, choisissez le pays et c’est réglé. C’est celui que nous utilisons au quotidien pour faire nos tests.

Une première version de cet article affirmait que le site du Washington Post était inaccessible gratuitement. C’est faux : il est accessible contre consentement.


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