Mardi 18 novembre 2024 (et vendredi 5 décembre, tant qu’à faire), quand ChatGPT, Canvas et League of Legends ont lâché en même temps à cause d’une panne Cloudflare – société américaine qui fournit des protections contre les attaques informatiques et facilite l’affichage des sites web – tout le monde s’est contenté de rafraîchir frénétiquement sa page. Tout le monde… sauf une poignée de gens qui s’entraînent déjà à vivre sans Internet.
À Amsterdam, l’ingénieure logicielle Valerie Aurora a fondé l’« Internet Resiliency Club » (IRC) début 2025. Ce club de survivalistes numériques se prépare à l’Internet en temps de guerre, de blackouts et de coupures massives de réseau qu’elle juge inévitables en Europe. Loin de la fibre et de la 5G, l’IRC tente de créer des mini-Internets locaux capables de tenir sur quelques kilomètres, sans opérateur ni centres de données.
Comment survivre numériquement 72 heures
L’obsession de Valerie Aurora est de maintenir la communication quand tout tombe et d’œuvrer au rétablissement d’Internet en cas de catastrophe. « L’un de mes pires cauchemars est de me réveiller un matin et de découvrir qu’il n’y a plus d’électricité, qu’Internet est hors service, que mon téléphone portable ne fonctionne pas, et que lorsque j’allume la radio d’urgence, je n’entends que « Le Lac des cygnes » en boucle » confie, sur son blog, l’Américaine, qui a quitté la Silicon Valley pour les Pays-Bas, il y a deux ans.


« C’est une vidéo du point d’accès Internet ukrainien 1-IX qui m’a donné envie d’agir. Elle montre comment l’Ukraine maintient et répare son Internet pendant la guerre avec la Russie. On y voit des salles de routeurs camouflées avec trois jours d’autonomie en essence et de la fibre passive » explique à Numerama Valerie Aurora.
Si la guerre aux portes de l’Europe lui a ouvert les yeux sur la nécessité de développer des réseaux de communication alternatifs, elle évoque aussi la panne d’électricité que la Péninsule Ibérique a connue le 28 avril 2021, liée à un déséquilibre entre production et demande d’électricité. « On peut également parler des cyberattaques ciblées sur des services essentiels, qui rendent inaccessibles des plateformes que nous considérons comme fiables. Même un événement naturel de faible intensité, comme une tempête ou des inondations, peut interrompre durablement les flux Internet ou mobiles dans une zone entière » nous précise, quant à lui, S
ébastien, à la tête du blog la-resilience.fr sur lequel il partage son « kit numérique d’urgence d’un survivaliste », composé, entre autres, d’un nano-ordinateur monocarte, d’une carte SD, d’une batterie externe et d’un adaptateur audio USB.

« Quand on parle de « kit numérique d’urgence », comme le manuel d’évacuation de l’État français, beaucoup imaginent une simple clé USB contenant des papiers scannés. Avoir ses documents est utile. Pouvoir continuer à fonctionner quand tout vacille, c’est une autre histoire. La résilience numérique ne se limite pas à conserver des données. Elle repose sur la capacité de continuer à les exploiter, à communiquer, à se coordonner et à accéder à des outils essentiels lorsque les infrastructures qui soutiennent notre quotidien – qu’il s’agisse du cloud, du réseau mobile ou de la box Internet – deviennent indisponibles » justifie l’ingénieur système français.
L’open source au cœur de la résilience numérique
Pour continuer à communiquer, Valerie Aurora privilégie la communication locale à la communication globale : « Imaginez que je ne puisse pas aider quelqu’un à 500 kilomètres de distance quand tout est hors service. Nous devons pouvoir nous entraider pour distribuer le matériel et nous rendre sur place. L’un des grands avantages d’Amsterdam, bien sûr, c’est que nous avons tous des vélos. Ce point est donc réglé : nous pouvons tous nous rejoindre en moins d’une heure de vélo » Mais avant de se retrouver, pour échanger, les membres de l’IRC – une bonne vingtaine – utilisent des radios LoRa, une technologie de communication radio bas débit et longue portée, associée au logiciel open source Meshtastic, de quoi permettre au mouvement de communiquer sans électricité directe, sans Internet ni téléphone portable, à en croire sa fondatrice.
« Ce qui est génial avec la radio LoRa, c’est qu’elle consomme très peu d’énergie et qu’elle est très facile à utiliser. N’importe qui peut envoyer un message à une autre personne équipée de cette radio sur une distance d’environ un kilomètre » s’émerveille-t-elle, avant de compléter « C’est là qu’intervient Meshtastic, un logiciel qui vous permet de créer un réseau et d’envoyer des messages en les faisant transiter par les radios d’autres utilisateurs. C’est de cette façon que nous pouvons nous envoyer des messages d’un bout à l’autre d’Amsterdam, et si nous multiplions les messages et les utilisations, le réseau devient plus fort. »

Si de nombreuses communautés numériques résilientes voient le jour depuis quelques années avec les réseaux LoRa, Meshtastic, Gaulix – l’équivalent français de Meshtastic, ou encore Meshcore au Royaume-Uni, ces technologies ne sont pas directement liées au survivalisme numérique, rappelle l’homme derrière le blog la-resilience.fr.
« L’effervescence autour des réseaux LoRa et des technologies mesh ne vient pas d’une pensée survivaliste, mais d’un écosystème profondément technique. Ce sont les communautés open source et la culture hacker qui ont donné l’impulsion. Pourtant, à mesure que la notion de résilience numérique s’impose comme un sujet réel, et non plus comme un fantasme apocalyptique, je pense que ces deux univers finiront par se rapprocher naturellement. Parce qu’au fond, elles cherchent la même chose, à savoir : continuer à fonctionner lorsque les infrastructures déraillent » Et si, derrière ces expérimentations amatrices, s’écrivait déjà la littérature discrète des lendemains fragiles ?
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