Il y a 150 millions d’années, les ancêtres des mammifères, qui pondaient des œufs, ont attrapé « un virus ». Le biologiste Jean-François Bodart revient dans The Conversation sur la façon dont les virus ont probablement contribué à l’apparition d’un nouvel organe, le placenta.

Alors que des microparticules de plastiques viennent d’être détectées dans des placentas humains, revenons sur la formation de cet organe aux fonctions essentielles chez les mammifères.

Les mammifères ne pondent pas d’œuf. Enfin, pas tous les mammifères puisque l’ornithorynque et les échnidés font figure d’originaux en persistant à pondre des œufs, avec un développement embryonnaire qui se réalise à l’abri d’une coquille.

Comment les mammifères que l’on appelle euthériens ou placentaires ont-ils perdu leur coquille ?

L’histoire serait vieille de plus de 150 millions d’années : les ancêtres des mammifères, qui pondaient des œufs, ont attrapé « un virus ». Le matériel génétique de ces ancêtres a intégré des séquences génétiques de virus. Les intégrations de ces séquences virales se sont reproduites et répétées au cours du temps : des protéines essentielles à la fusion cellulaire se sont ainsi incorporées au génome des mammifères. Ces séquences virales ont permis la fabrication de protéines qui ont sonné le glas de la coquille et l’avènement d’un nouvel organe : le placenta. Ces animaux sont devenus vivipares : le développement de l’embryon ne s’effectuait plus hors de l’organisme maternel, mais dans l’utérus.

D’origine à la fois maternelle et embryonnaire, le placenta exerce des rôles métaboliques essentiels au développement de l’embryon. Il est constitué à la fois de cellules maternelles de l’utérus, et de cellules embryonnaires. Il constitue un organe à part entière. Le placenta est un lieu d’échanges : il permet au fœtus de puiser dans le corps de la mère les éléments nécessaires au développement embryonnaire, comme les nutriments ou l’oxygène. Il évacue l’urée et le dioxyde de carbone produit par le fœtus. Il est considéré comme un lieu de tolérance immunologique permettant le maintien du fœtus dans l’organisme maternel. Il produit également des hormones qui soutiennent le développement fœtal ainsi que la lactation. Enfin, le placenta constitue également une barrière protectrice pour le fœtus contre la plupart des parasites et des bactéries, mais certains virus ou composés comme l’alcool, passent à travers cet organe et affectent le développement fœtal.

La formation du placenta

Comment se forme un placenta ? Quelques jours après la fécondation, l’embryon de mammifère est composé de deux populations de cellules : le bouton embryonnaire et le trophoblaste.

Le bouton embryonnaire composera tous les organes de l’embryon, tandis que les cellules périphériques du trophoblaste seront responsables de l’élaboration des structures extraembryonnaires comme le placenta. Une partie du trophoblaste, appelé syncytiotrophoblaste, forme une couche de cellules fusionnées. Lorsque plusieurs cellules fusionnent, une cellule géante se forme. Possédant plusieurs noyaux, cette structure est appelée syncytium. Ces cellules fusionnées « attaquent » les tissus maternels, les perforent et permettent l’ancrage (appelée nidation) de l’embryon.

La fusion des cellules du trophoblaste est une étape essentielle à l’implantation de l’embryon dans l’utérus et au bon déroulement du développement. Elle est assurée par des protéines particulières : les syncytines. Les protéines de type syncytines sont exprimées dans les placentas de presque tous les mammifères. La perte simultanée des deux types de syncytines exprimées chez la souris empêche le développement d’un placenta et provoque la mort précoce des embryons, soulignant leur rôle capital dans le développement.

Qu’est-ce que l’exaptation ?

L’origine virale des syncytines a été mise en évidence par des paléovirologistes, qui sont capables de détecter dans un génome des « virus fossiles » ou séquences provenant de l’intégration, par le passé, d’un matériel génétique viral. Cette origine virale fournit un exemple étonnant du phénomène appelé exaptation.

Par le terme d’exaptation, Stephen J. Gould et Elizabeth Vrba ont illustré comment des fonctions complexes peuvent apparaître à partir de structures ou d’éléments simples. Par exemple, sélectionnées parce qu’elles assuraient une régulation de la température, les plumes auraient ensuite permis l’adaptation au vol.

Les gènes appelés Env, qui appartiennent à une famille de gènes codant les protéines formant l’enveloppe virale, fournissent un autre exemple d’exaptation. Chez les rétrovirus, les protéines Env, codées par ces gènes, sont des protéines d’enveloppe par lesquelles les particules virales fusionnent leurs membranes avec celles des cellules cibles. Cette fusion permet à l’infection de la cellule en déjouant le système immunitaire de l’hôte. Intégrés et transmis à la descendance chez les mammifères, ces gènes Env ont évolué en protéines de type syncytines.

Une évolution convergente

Il est étonnant de constater que la domestication de ces gènes ne s’est pas faite une seule fois, mais dérive d’au moins une dizaine infections indépendantes par des rétrovirus différents, au cours de l’évolution des mammifères. L’acquisition d’un placenta serait donc une évolution convergente. Le plus vieux type de syncytine actuellement connu a été identifié chez les carnivores. L’intégration du gène de la syncytine-1 conservé chez l’homme se serait produite il y a 30 millions d’années, tandis que les gènes des syncytines se seraient intégrés chez la souris il y a plus de 25 millions d’années.

Différentes infections rétrovirales ont donc favorisé, à de multiples reprises, des mécanismes de fusion cellulaire conduisant à la formation de syncytium à l’interface entre les tissus foetaux et maternels et contribuant à l’élaboration d’un développement intra-utérin original, grâce à la formation d’une « enveloppe rétrovirale ». Les propriétés de fusion cellulaire et immunosuppressives des syncytines auraient favorisé le maintien et le développement de cette nouvelle structure.

La diversité des gènes de syncytine pourrait refléter la diversité morphologique des placentas chez les mammifères. Selon les espèces, le placenta juxtapose les structures embryonnaires et maternelles ou ancre profondément l’embryon dans les tissus utérins. Les mammifères ne seraient pas les seuls à avoir capturé des syncytines. Ces dernières ont été détectées chez quelques rares vertébrés placentaires éloignés des mammifères, comme le lézard Mabuya. Ce même mécanisme aurait donc joué un rôle crucial dans l’apparition et le développement des placentas chez les vertébrés.

Le placenta protège et expose à la fois le fœtus

Le développement embryonnaire au sein d’un utérus ne rend pas ce développement moins sensible et vulnérable. Le placenta, qui crée une intimité entre la mère et sa progéniture, est un organe qui protège et expose à la fois le fœtus. Les propriétés et mécanismes actifs ou passifs qui permettent les échanges essentiels au développement autorisent également le passage de substances aux effets néfastes. Des virus tels que ceux de la rubéole, de la varicelle, du HIV ou la parvovirus, ainsi que des agents infectieux comme les toxoplasmes, tournent à leur avantage ce lieu d’échange pour l’envahir et contaminer l’embryon. Certains agents pharmaceutiques, les métaux ou l’alcool ont de sinistres réputations, dues aux effets délétères qu’il provoque chez l’embryon.

Très récemment, des microparticules de plastique ont été détectées dans des placentas humains. Ces particules auraient été inhalées ou ingérées par les mères. Les effets de ces particules restent inconnus mais la détection de ce type de plastique est inquiétante à plusieurs titres : peuvent-ils altérer les fonctions essentielles des placentas comme la régulation immunitaire ? Peuvent-ils bouleverser le développement des fœtus ? Ces observations nous rappellent la vulnérabilité du développement embryonnaire.The Conversation

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Jean-François Bodart, Professeur des Universités, en Biologie Cellulaire et Biologie du Développement, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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