De la vie à -15° C, à l’intérieur même de la glace ? Cela parait impossible, et pourtant ! Il existe bel et bien une petite algue qui non seulement vit à l’intérieur même de la couche glacée de l’Arctique mais qui, en plus, s’y déplace et, ce, rien de moins… qu’en patinant !
C’est ce qu’a mis au jour une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford, à travers une publication parue le 9 septembre 2025 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
Vu l’importance de la quantité d’algues présentes sous la couche Arctique, cette découverte pose beaucoup de questions quant à l’organisation de l’écosystème polaire et le rôle que ces organismes ont à jouer dedans.
Des algues vivantes et non pas survivantes
Longtemps, les scientifiques ont pensé que ces algues unicellulaires eucaryotes, nommées diatomées, piégées dans la couche de glace étaient dormantes. Il s’avère, en fin de compte, qu’il n’en est rien : elles sont bien actives et pas qu’un peu !
« Il ne s’agit pas de cryobiologie digne d’un film des années 1980. Les diatomées sont aussi actives qu’on peut l’imaginer jusqu’à ce que les températures chutent jusqu’à -15 °C, ce qui est extrêmement surprenant », relève Manu Prakash, dernier auteur de l’étude, dans un communiqué de presse.
Eucaryote : Ce terme désigne une cellule dont le noyau est séparé du reste de la cellule par une membrane.
Surprenant, le mot n’est pas excessif pour qualifier cette activité à cette température extrême. En effet, c’est la première fois qu’un mouvement d’une cellule eucaryote est enregistré à une température aussi basse.
Qing Zhang, auteure principale de l’étude, précise : « On peut voir les diatomées glisser, comme si elles patinaient sur la glace. »
Des trous dans la glace arctique
Avant d’arriver à cette conclusion, les diatomées ont été récoltées en Arctique, dans la mer des Tchouktches, au-dessus de la Russie et des États-Unis, durant une expédition de 45 jours en 2023 sur le navire de recherche Sikuliaq. Les scientifiques ont prélevé des échantillons de glace dans 12 stations différentes.
De retour en laboratoire, les chercheurs ont recréé l’environnement des algues. Ils expliquent que « lorsque la glace se forme en Arctique, elle rejette du sel, laissant de la glace d’eau douce parsemée de petits canaux microfluidiques. Le laboratoire a donc également creusé des canaux dans sa glace, à partir de cheveux ». Dans certaines expériences, grâce à des billes fluorescentes, les scientifiques ont pu retracer le mouvement dès diatomées.
Pour avancer, ces algues sécrètent une sorte de mucus qui va leur permettre de coller à la surface, « Comme une corde avec une ancre », illustre Qing Zhang. « Ils tirent ensuite sur cette ‘corde’ et cela leur donne la force d’avancer ». Cette « corde » de mucus est composée d’actine et de myosine, des protéines aussi présente dans les muscles humains.
La grande question qui taraude maintenant les savants est de savoir comment cette fonction de mouvement est encore effective à des températures aussi basses. Par rapport aux algues des milieux tempérés, les diatomées polaires avançaient de manière beaucoup plus rapide, ce qui suggère un avantage évolutif, selon les chercheurs.
« L’Arctique est blanc à la surface, mais vert en dessous – d’un vert absolu à cause de la présence d’algues », signale Manu Prakash. « D’une certaine manière, cela nous fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’une toute petite chose, mais d’un élément important de la chaîne alimentaire qui contrôle ce qui se passe sous la glace. »
Un rôle en question
Cette découverte d’une activité effective des algues posent beaucoup de questions. Est-ce qu’en se déplaçant, les algues transportent avec elles de la nourriture ou des ressources pouvant servir à d’autres espèces comme les poissons ou les ours polaires ? Est-ce que les traces de mucus qu’elles laissent derrière elles pourraient provoquer l’apparition de glace ? En somme, quel est leur rôle dans l’écosystème polaire ?
« Beaucoup de mes collègues me disent que dans les 25 à 30 prochaines années, l’Arctique n’existera plus. Lorsque des écosystèmes disparaissent, nous perdons des connaissances sur des branches entières de notre arbre de vie », déplore l’auteur principal.
Au vu des restrictions budgétaires qui menacent la recherche sur l’environnement polaire, Manu Prakash explique ressentir un sentiment d’urgence : « Je ressens un sentiment d’urgence pour nombre de ces systèmes, car, en fin de compte, l’infrastructure et la capacité opérationnelle sont essentielles à la découverte. »
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