Il arrivait dans nos vies comme les poux, transmis de morveux en morveux, en l’espace d’une quinzaine de jours.
Couleurs surréalistes, allant du fuchsia originel à des déclinaisons zébrées, chamarrées ou encore mouchetées, construction simple, matière plastique luisante, et écran anachroniquement sous-défini : nous sommes à l’aube du millénaire et un ovoïde croisant la calculette avec le talkie-walkie fait rentrer des générations dans l’ère vidéoludique mobile.
Son pouvoir d’attraction est indubitablement lié à l’instinct grégaire des cours de récré, mais il ne faut pas sous-estimer ce qu’il dit alors sur les gamins que nous sommes. Le Tamagotchi de Bandaï n’est pas qu’un jouet ridicule, il est également pendant plus d’une décennie l’unique lien entre l’enfance pas tout à fait digital native et le monde à venir.
Fée électricité
J’entends encore les bips rageurs de la bête lorsque, une fois sortie de son étui bardé de typographies nippones et de points d’exclamation, nous retirions religieusement la languette qui séparait la pile du petit circuit imprimé du joujou. Et là, fée électricité rendue industrielle et mobile, la pile donnait vie aux fictions : poupée parlante, voiture télécommandée, et désormais, œuf alien. Nous ne quitterions plus des yeux cet écran plus morne encore que celui de notre Texas Instrument pendant un petit mois, deux pour les mieux lotis en instinct maternel.
Je ne saurais dire si la folie, l’hystérie comme les qualifiait les journaux télévisés du midi, dura longtemps. Mais elle me marquait profondément. L’esthétique nippone que je ne connaissais pas, l’idée que l’électronique miniature est ludique, mais surtout que la communication entre appareils — par infrarouge alors — est un pilier de la sociabilité du futur me frappait, et prédestinait l’adoption par ma génération, quelques poignées d’années plus tard, des messageries instantanées.
L’e-mail et Internet existaient déjà comme le prouve le PC qui trône dans le salon du foyer français. Mais nombreux sont les gamins qui n’y touchaient pas — vagues souvenirs d’Adibou exclus — et l’accès limité à la télévision qui était rentré par effraction dans la famille rend l’obscurité technologique de mon enfance plus dense. Elle ne sera donc illuminée que tardivement par une créature absurde, mortelle et capricieuse, qui trônera dans ma paume des jours durant.
Quelques heures avant le smartphone
Oui, TF1, mon hystérie est totale. J’en veux plusieurs. Je veux créer un réseau. Connecter à l’infini ces œufs qui s’échangent des cadeaux. Voir décamper la bestiole dans un appareil voisin quelques secondes avant son retour ravi dans notre main. Les pixels ont beau être encombrants pour l’imaginaire, une esthétique numérique nous saisit. Elle donnera naissance quelques années plus tard au pixel art.
Choix éducatifs obligent, je ne mettrai jamais les mains sur une console, mobile ou domestique. Mais le Tamagotchi, peu coûteuse et simpliste console, change mon rapport au jeu et à la sociabilité. À peine dix ans plus tard, je tiendrai, à peine pubère, un smartphone dans mes mains. Tout était écrit depuis la première naissance de cette boule de pixels informe.
Je ne mettrai pas vraiment de mots sur cette révélation que fut le joujou japonais que lorsque je fus lassé du smartphone. Nous sommes en 2016 et l’industrie du rêve mobile s’essouffle. Je fais mes premiers pas dans ces colonnes, et je tiens absolument à réaliser mon premier test avec ces bestioles disparues d’Occident, mais qui continuent marginalement d’exister au Japon. NFC, écran couleur, connexion à Internet, application mobile dédiée à l’appareil, je commande deux Tamagotchi 4U depuis le Pacifique.
Le test ne verra jamais le jour : j’avais sous-estimé la barrière de la langue — je passe alors des heures à tenter de décrypter les menus en japonais, un plaisir en soi, mais que je savais rebutant pour le grand public. Et j’avais également surestimé la robustesse du joujou. L’écran du mien se brise au bout de deux semaines alors que pendant ce temps, Julien qui avait accepté d’en prendre un en garde (ndJulien : sous la contrainte), avait vu ses bestioles le fuir pour maltraitance.
On ne vit pas deux fois sa jeunesse.
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