De 5,75 euros la course à 4,80 euros en octobre, les revenus des coursiers Deliveroo ne cessent de diminuer. Les livreurs veulent avoir leur mot à dire dans les discussions autour de leurs « contrats de travail » à l’ère de l’ubérisation.

Les livreurs Deliveroo se réunissaient à Paris ce vendredi 19 octobre 2018 à 14 heures, place de la République. À l’appel du Collectif des Livreurs Autonomes Parisiens (CLAP), ils revendiquaient de meilleures conditions de travail. De 5,75 € la course à 5,30 € au début de l’été, le tarif vient de passer à 4,80 € depuis octobre. Deliveroo réévalue chaque mois ce montant, auquel s’ajoute une rémunération liée à la distance parcourue. Forcément, les travailleurs entendent endiguer cette plongée de leurs revenus.

En tenue de travail, une trentaine de livreurs se sont réunis, place de la République à Paris, pour revendiquer une hausse de leurs revenus. // Source : Numerama

En tenue de travail, une trentaine de livreurs se sont réunis, place de la République à Paris, pour revendiquer une hausse de leurs revenus.

Source : Numerama

Une trentaine de collaborateurs de l’entreprise anglaise sont réunis en dessous du monument, place de la République. Ils arborent leur tenue de travail turquoise, et se tiennent debout, pied sur la pédale pour certains.

« On a tous la même boîte, le même salaire, le même type de contrat, alors c’est normal qu’on revendique ensemble », justifie Steven, emmitouflé dans son imper, casquette vissée sur la tête. Les cyclistes présents aujourd’hui entendent faire valoir leurs droits comme groupe. « Nous revendiquons l’impossibilité de changer les contrats sans l’accord collectif des livreurs », réclame leur tract.

Ce n’est pas la première fois que les autoentrepreneurs se réunissent, loin de là. Ils s’étaient déjà fédérés à l’été 2017 , lorsque la plateforme avait décidé de changer sa rémunération à taux horaire, pour un modèle à la course. De 7,50 € de l’heure avec un supplément par course, ils étaient passés à 5,75 € par course. Depuis, ce montant ne cesse de diminuer.

« Je travaille ce qu’il faut pour payer mon loyer à 450 €. En moyenne, il me faut 20 heures par semaine », détaille Steven, étudiant par ailleurs. Si le prix des courses baisse trop, le temps passé à vélo pourrait empiéter sur ses cours.

Indépendants ou salariés ?

En mars 2018, l’inspection du travail s’est penchée sur le statut des coursiers Deliveroo. Elle souhaitait prouver que les livreurs sont traités comme des salariés classiques, sans les nombreux avantages. En statut d’autoentrepreneur, les travailleurs doivent cotiser au RSI, la sécurité sociale des indépendants, à hauteur de 25 % de leurs revenus. Pour l’entreprise, c’est une grande dépense en moins, tout comme l’absence de congés payés ou de paiement des frais de fonctionnement — comme le vélo. En conséquence, le montant net touché par le livreur s’éloigne des 5 euros que Deliveroo lui paye en facture.

« Si je crève ma chambre à air, c’est à moi de la remplacer, et en plus je perds l’argent que je devais gagner sur mon créneau, car je ne peux pas travailler », peste Bruno, qui travaille comme livreur depuis deux ans. Ces inconvénients sont en théorie compensés par la flexibilité offerte par le statut d’indépendant, mais les entreprises de services à la demande jouent avec ces limites.

Le planning, outil de contrainte

L'onglet statistique de l'application Deliveroo détermine à quel moment le travailleur pourra choisir son plannique // Source : Numerama

L'onglet statistique de l'application Deliveroo détermine à quel moment le travailleur pourra choisir son plannique

Source : Numerama

Bruno pédale « 35 à 40 heures par semaine ». Il nous montre son téléphone (voir photo) : « Samedi dernier j’ai eu un empêchement, du coup je n’ai pu avoir les horaires que je voulais sur le planning, car je n’ai choisi qu’à 17 heures. » Sur le planning, c’est premier arrivé, premier servi. L’agenda s’ouvre par vague, toutes les deux heures, et l’ordre de passage des travailleurs est déterminé par un algorithme.

Pour avoir assez d’heures la semaine suivante, il faut travailler de 20h à 22h le week-end.

Celui-ci s’appuie sur trois statistiques : la présence aux créneaux que vous avez demandés, le nombre de créneaux annulés moins de vingt-quatre heures avant, et la présence sur les périodes de pointe de l’application. Ce dernier critère implique de travailler vendredi, samedi et dimanche, de 20 heures à 22 heures. C’est un de ces créneaux qu’il n’a pas pu assurer. Si le livreur manque une semaine entière, il lui faut un certain temps avant de faire remonter ses statistiques, et de retrouver des horaires convenables.

Quand on leur demande pourquoi ils ne sont pas allés travailler chez la concurrence, le premier nom qui vient n’est pas celui qu’on croit : «  Foodora proposait des salaires similaires, mais les courses étaient bien plus longues, donc on ne pouvait pas en faire autant. Et Uber Eats paye moins. », explique Bruno. Foodora a mis la clé sous la porte, tandis que le géant américain lorgne sur son concurrent. Mais les travailleurs n’ont pas le temps de s’en inquiéter.

Aucun contact avec la direction

Comme souvent, les manifestants ont tenté d’entrer dans les bureaux de Deliveroo. Et ils n’y sont pas parvenus. L’entreprise garde ses distances avec les travailleurs indépendants qu’elle embauche. Depuis sa signature de contrat, Bruno n’a plus jamais mis les pieds dans les bureaux : « Tout passe par internet, et même pour récupérer un nouveau sac, on ne revient pas aux locaux. » Tout problème que rencontre un livreur est géré à distance, par téléphone ou par mail.

Si la presse donne de l’écho au mouvement social, Deliveroo se défend de devoir répondre à la contestation. Menée par quelques dizaines de travailleurs, elle n’attire pour l’instant qu’une infime partie des 10 000 livreurs inscrits… et c’est précisément un problème qui commence à être évoqué : le modèle de travail proposé par l’entreprise empêche la contestation. En effet, plus il y aura de livreurs, moins ils se connaîtront et moins l’absence de quelques-uns aura un impact.


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