Aucun outil technique ou légal ne rendra les internautes moins sexistes. Alors, construisez des coins pour vous.

Cet article est un extrait de la newsletter #Règle30, envoyée tous les mercredis à 11h. 

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Écrire la dernière infolettre de l’année est toujours un exercice compliqué. Comment résumer douze mois d’actualité dans les nouvelles technologies, 365 jours passés en ligne et en dehors, 38 infolettres souvent écrites en pyjama, parfois dans des trains à maudire le Wi-Fi défaillant, dans une illustration très concrète qu’internet m’est autant indispensable que fragile ? En 2022, j’affirmais que nous étions revenus aux enjeux classiques du web. Depuis, la tornade des IA génératives est passée par là, avec son effluve de fantasmes de science-fiction. Pourtant, quand je dresse le bilan de 2023, je ne pense pas à ChatGPT en premier. Je pense d’abord aux femmes.

Pour être franche, je pense souvent aux meufs ! Mais cette année, le web y a beaucoup pensé aussi. Mes flux dégueulaient de mèmes sur les filles (rarement qualifiées de femmes), leurs girl dinners, leurs manières étranges d’agir comme des personnages de jeux vidéo pour se faire un peu d’argent ou de se réapproprier des hobbys vus comme masculins, par exemple, en traitant des pilotes de F1 telles des stars de la pop. Si vous n’avez pas entendu parler de la moitié des choses que je viens de citer, peut-être que vous lisez cette newsletter depuis peu. Ou probablement que vous vous trouvez de l’autre côté de la barrière genrée du web, qui n’a jamais semblé aussi haute et opaque. Pourquoi a-t-on tardé à prendre au sérieux le harcèlement subi par l’actrice Amber Heard ? Pourquoi ignore-t-on encore les contenus masculinistes qui prolifèrent loin de nos habitudes en ligne, mais tout proche de celles des jeunes garçons ?

Le web est obsédé par les femmes

Le web est obsédé par les femmes. Sous le regard de ses contenus et ses algorithmes, nous sommes belles, laides, drôles, stupides, hétérosexuelles, blanches, fines, valides et cisgenres ; dans le cas contraire, à éliminer ; quoi qu’il arrive, utiles pour attirer l’attention. Car on nous aime pour notre image. Car on nous hait pour notre réalité. Car on veut nous humilier, nous posséder, nous remplacer. Le contraste est frappant entre l’attention qu’on nous porte et notre manque total de contrôle. Il est difficile de décrire l’effet que ces phénomènes immatériels ont dans notre chair. L’autre jour, j’ai participé à une interview filmée, et je me suis surprise à me demander si je ferais un jour l’objet d’un deepfake.

J'explique la blague : il s'agit d'une photo de vêtements pour Polly Pocket en silicone, que beaucoup de petites filles des années 90-2000 aimaient mâchonner (moi y compris).
J’explique la blague : il s’agit d’une photo de vêtements pour Polly Pocket en silicone, que beaucoup de petites filles des années 90-2000 aimaient mâchonner (moi y compris).

Au risque de me répéter, ces problèmes n’ont pas de solutions automatiques. Des garde-fous sont possibles, la place des femmes dans l’industrie du numérique (celles qui existent vraiment) est un sujet toujours essentiel. Mais, aucun outil technique ou légal rendra les internautes moins sexistes. Le web est injuste comme notre société, et on s’y fait notre place comme on peut. 

Dans quelques mois, cela fera quatre ans que je vous écris chaque semaine. 2023 a été une année particulière pour cette infolettre : elle a été récompensée par un prix, j’ai eu la chance de parler de mon travail dans un podcast très écouté, on a organisé un évènement IRL. Tout ça a eu l’effet de doubler l’audience de #Règle30, ce dont je suis très fière et heureuse (j’en profite pour remercier Numerama et bien sûr mes deux rédactrices en chef, Marie Turcan et Nelly Lesage). Dans cette ambiance morose, c’est un projet qui me rappelle pourquoi je garde espoir, surtout le désir de me battre.

Alors que le web social se décentralise petit à petit, il n’y a jamais eu meilleur moment pour construire et soigner des espaces connectés plus petits. Écrivez une newsletter, lancez votre instance Mastodon, développez un site personnel, modérez votre serveur Discord, entourez-vous d’amies ou d’inconnus qui partagent vos valeurs. Construisez un web sans hommes, qu’ils pourront fréquenter si vous les y autorisez, mais sans leur donner le contrôle. C’est tout ce que je peux nous souhaiter. 

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