Patrick Roger est l’une des plus importantes signatures au service politique du Monde. C’est lui qui, notamment, a été chargé par le quotidien du soir de couvrir la campagne électorale de François Bayrou en 2007. Lorsqu’il rédige un article sur la loi Création et Internet, c’est donc sous un angle politique qu’il en parle. Et le journaliste n’est pas tendre envers le Parti Socialiste, dont il constate à mots couverts ce que nous avions déjà regretté en 2006 à propos de la loi DADVSI, et ce que nous redoutions pour la loi Hadopi : une opposition brillante dans la forme, incarnée par quelques députés experts du dossier (les « mousquetaires »), mais non désireuse de réunir dans l’hémicycle un poids suffisant pour faire obstacle au vote.
Dans son article, le journaliste constate d’abord « une certaine fébrilité du gouvernement« , et le fait qu’une « partie de la majorité conteste la pertinence » du projet de loi Création Internet, et note que lors la défense de certains amendements, les positions ont convergé entre certains députés de l’opposition, du Nouveau Centre et de l’UMP. « A tel point, ajoute Patrick Roger, qu’une présence plus soutenue du groupe socialiste en séance aurait peut-être pu faire basculer certains votes« .
Nous nous étions interrogés, d’ailleurs, sur le choix étrange des députés socialistes de ne pas demander un scrutin public (c’est-à-dire un décompte des voix par boîtier électronique et la publicité du nom des votants au journal officiel) lorsqu’ils ont proposé l’adoption de la contribution créative, qu’ils présentaient pourtant comme la contre-mesure phare de leur opposition. Comme il y a trois ans, une désagréable impression persiste que les mousquetaires socialistes sont envoyés au front pour combattre la loi devant les nombreux internautes qui regardent les débats en direct, sans que l’appareil politique du Parti Socialiste ne se mette en branle pour donner du poids à cette opposition aussi brillante qu’inutile (dans son point presse contre la loi, Martine Aubry a appuyé sur l’inefficacité économique de l’Hadopi, en faisant de l’irrespect des libertés publiques un détail – elle a raison, et en oubliant totalement l’irrespect manifeste des droits de la défense, qui est beaucoup plus grave).
Il y a trois ans, le hasard et l’agacement des députés de la majorité (invités à voter dans l’urgence la loi DADVSI à la veille de Noël) avaient abouti au vote surprise de l’amendement instaurant la licence globale, par scrutin public. Cette année, la consigne semblait avoir été donnée aux députés socialistes de ne pas renouveler l’exploit, pour ne pas se mettre une nouvelle fois le petit monde de l’industrie culturelle à dos. La contribution créative a été défendue par une arme que tout le monde savait chargée à blanc.
Signe d’une armée désertée par les siens, l’exception d’irrecevabilité défendue par Patrick Bloche (26 voix pour, 80 contre) et la question préalable défendue par Christian Paul (25 voix pour, 75 contre) ont été rejetées par les trois quarts des votants, alors que l’Assemblée compte 55 % de députés UMP, contre 40 % de députés socialistes et divers gauche. Sachant que l’UMP est loin d’être unie sur le projet de loi, la gauche aurait pu faire basculer les choses avec plus de certitude et d’ambition dans son opposition.
Ce qu’elle fera peut-être enfin au moment de voter la loi, à partir du 31 mars prochain, lors de la deuxième phase d’examen de la loi Création et Internet.
« Pour l’heure, le gouvernement et la majorité s’en tirent sans dégâts mais, plus le débat avance, plus la tension monte, sous la pression des internautes, qui suivent assidûment les échanges retransmis en direct sur le site de l’Assemblée« , note ainsi Patrick Roger.
Peut-être qu’en deuxième mi-temps, au delà des mousquetaires, le Parti Socialiste réalisera enfin que la défense des valeurs républicaines est au moins aussi importante pour leur électorat que la possibilité d’afficher en période électorale le soutien de Mireille Mathieu, de Luc Besson ou de Johnny Hallyday.
C’est toutefois déjà bien mieux que le MoDem de François Bayrou, qui a choisi d’ignorer totalement le sujet, et d’oublier dans le désert ces bédoins d’internautes qui avaient pourtant largement contribué à porter le leader centriste très proche des sommets lors des précédentes élections présidentielles. Mais peut-être François Bayrou estime-t-il qu’il n’est pas si grave de privatiser la recherche des infractions, ou de condamner à la chaîne (jusqu’à 1000 par jour !) des coupables présumés sans qu’ils aient les moyens juridiques ou matériels de prouver leur innocence ? Nous en doutons. Mais il faudra qu’il le démontre.
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