Le procès d’eMule-Paradise qui s’est ouvert lundi à Paris pose la question de la responsabilité pénale des éditeurs qui diffusent des liens P2P sans partager eux-mêmes les fichiers piratés. Il met aussi pour la première fois en jeu l’amendement Vivendi qui, depuis la loi DADVSI, interdit la diffusion de logiciels « manifestement destinés » au piratage.

Mise à jour : le tribunal correctionnel a décidé de renvoyer l’affaire devant le juge d’instruction.

Ce lundi après-midi s’est ouvert au tribunal correctionnel de Paris le procès de Vincent Valade et de son site eMule-Paradise. Un procès plusieurs fois reporté, qui n’aura aucune incidence concrète sur le piratage en France, mais qui pose la question de la responsabilité pénale de ceux qui publient des liens de téléchargement sur les réseaux P2P.

Le procès est retentissant parce que l’enquête a montré que le jeune homme aurait empoché 416 000 euros en recettes publicitaires sur 2 ans, et qu’il aurait fraudé le fisc en domiciliant ses comptes à Chypre et Belize (son ancienne agence publicitaire Net Avenir est aussi appelée à la barre, mais elle devrait tenter de profiter de la jurisprudence des Choristes). Le portrait du jeune pirate qui jouit des fortunes générées par le piratage a un impact médiatique évident.

Mais c’est sur le strict plan juridique que l’affaire a le plus d’intérêt. Le jeune homme qui avait 20 ans au moment des faits est poursuivi pour avoir proposé 7 113 liens eDonkey/eMule entre 2005 et 2006 via son site eMule-Paradise, avec des fiches descriptives des contenus partagés sur eMule. Parmi les plaignants figurent Pathé, Universal, Galatée Films et Jean-Yves Lafesse. Or lors de l’enquête, la police n’a trouvé chez Vincent Vallade que 19 films, ce qui n’empêche pas le parquet de le poursuivre pour « mise à disposition de films sans l’autorisation de leurs ayants droit« , pour l’ensemble des liens.

La première difficulté pour le tribunal sera de démontrer qu’il y a bien eu contrefaçon grâce aux liens d’eMule-Paradise. Dans l’affaire Seek-Link, le tribunal avait rejeté la responsabilité de l’auteur du site, parce qu’il n’avait pas été démontré que des fichiers contrefaits avaient été mis à disposition, et que condamner sur la seule présence de liens P2P revenait à « nier la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable en présumant la culpabilité sans preuve objective« .

Derrière ce problème se cache aussi la différence trop souvent négligée entre une URL (Uniform Ressource Locator), qui pointe vers un contenu en indiquant la route à prendre pour y accéder, et une URI (Uniform Resource Identifier), qui décrit le contenu visé sans dire où le trouver. Les liens eDonkey diffusés sur eMule-Paradise sont de cette seconde nature. C’est le logiciel eMule qui, à partir de l’URI, demande aux serveurs de lui indiquer les adresses IP des internautes qui partagent le fichier identifié.

Pour contourner la difficulté, les parties civiles ont déjà insisté à l’ouverture du procès sur la présence du logiciel eMule, proposé en téléchargement sur le site. C’est un autre angle juridique, offert par la loi DADVSI en 2006. Le Parlement avaient en effet adopté un « amendement Vivendi« , retranscrit à l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle, qui condamne des mêmes peines que la contrefaçon le fait « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés« .

Si en soi la diffusion d’eMule n’est pas condamnable, puisque le P2P est une technologie neutre utilisée notamment pour le partage de logiciels gratuits, le « contexte » d’eMule Paradise est pointé du doigt par les plaignants. Ils estiment que le fait que le logiciel soit diffusé avec un guide explicatif, à côté de liens permettant de télécharger des films piratés, démontre que la diffusion d’eMule est ici « manifestement destinée » au piratage. L’amendement Vivendi avait été conçu sur mesure pour s’adresser aux sites comme eMule-Paradise. Son application judiciaire trouve ici un test à taille réelle. La nature du « dispositif » doit-elle être examinée au regard du dispositif lui-même, ou de l’utilisation qui en est proposée par celui qui le diffuse ?


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