Entre les deux hommes, tout allait bien. L’un allait louer son appartement à l’autre, le contrat était à deux doigts d’être bouclé. Le propriétaire, rassuré par les gentils émojis du futur locataire, retire son bien du marché mais l’autre impétrant ne signe jamais. Remonté, le propriétaire veut que l’on reconnaisse que l’émoji de l’accusé prouve une intention…

Juger du sens, de l’intention et de la détermination qu’exprime un émoji — celui-ci ?  — est une mission déjà délicate au quotidien. Ce sourire, plaqué sur fond jaune, a quelque chose du rictus de la Joconde par son aspect cryptique et sibyllin. Joues rosées, yeux fermés, le bonheur de l’icône serait évident pour certains quand d’autres rétorquent déjà que la bouche close du symbole montre un doute, un premier pas vers le rire pas encore tout à fait franc. Le débat est-il donc interminable ?

Malheureusement pour la cour de justice israélienne réunie pour juger un conflit d’émoji, il est nécessaire de trancher l’impossible question de l’intention du smiling face smiling eyes, nom de code, U+1F60A. Convoquée par un propriétaire irrité par le non engagement de celui qui promettait — si l’on en croit l’accusation — de signer un bail, la cour a dû s’inquiéter des significations des emojis échangés entre les deux hommes sur WhatsApp.

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Lui, le propriétaire de l’appartement de la discorde, cherchait un locataire pour son bien, qu’il avait inscrit sur un site de locations. L’accusé, qui a pris contact sur le site puis par messages instantanés avec celui qui porte aujourd’hui plainte, s’était montré enthousiaste, si l’on en croit ses emojis, au point que le propriétaire imaginait que l’affaire était dans la poche.

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Et pourtant, cela n’a pas été le cas. Le plaignant retire son appartement de la vente, attend l’appel de l’accusé, mais rien. Malgré les gentils emojis échangés, la signature n’était pas inscrite dans le marbre et l’affaire s’est échappée… Le message ci-dessus — la pièce la plus importante du procès — est celui envoyé par l’accusé et qui, toujours selon l’accusation, témoigne d’une intention claire. De facto, si le message est considéré par les jurés comme une preuve que l’accusé a bel et bien fait tourner en bourrique le propriétaire, il y a une rupture de contrat tacite qui pourrait coûter 8 000 shekels, soit près de 2 000 € au textoteur frivole.

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Mais une danseuse de flamenco, un V de victoire, du champagne et un écureuil sont-ils vraiment la manifestation d’un contrat tacite ? Selon la presse locale, qui suit le procès avec passion, le juge Weizebbluth a tranché la question purement linguistique en s’inclinant devant l’analyse de l’accusation. Il écrit : « Ces icônes démontrent un grand optimisme. Bien que le message ne constitue pas un contrat entre les deux parties, il tend naturellement à mettre en confiance l’accusation quant au désir de la défense de louer l’appartement… Ces symboles, qui ont laissé entendre à l’autre partie que l’appartement avait trouvé preneur, étaient trompeurs. »

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Ce n’est pas tout à fait la première fois qu’une cour de justice affronte l’ambiguité des émojis. La question de leur interprétation tend à prendre de l’importance pour les magistrats et juristes. En 2016, comme le rappelle Quartz, Eric Goldman, professeur de droit à l’Université de Santa Clara, a mené une étude qui montrait que durant l’année, 80 décisions de justice en Amérique impliquaient… l’interprétation d’émojis.

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